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POÉSIES

AVRIL


O ma vie ! il n’est rien dans les villes du monde
Que ne puisse t’offrir la beauté de ce soir !
Paris, avant la nuit, se regarde au miroir
Du fleuve, — et quand le pont s’ouvre en arche profonde
La Seine rose y fait un bruit étrange et noir.

Je longerai longtemps le quai crépusculaire,
Car rien ne m’émeut plus que cette heure et ces lieux ;
Ils dorment dans mon âme et vivent dans mes yeux !
Toute rumeur a fui la berge solitaire,
Et les passans tardifs seront silencieux.

J’aime ce fleuve étroit, et sa courbe imprécise.
Et les vieux monumens reflétés dans ses eaux,
Mieux qu’Amsterdam, luisante au cœur de ses canaux,
Que l’opale irisée où je revois Venise ;
Plus que le bord des mers ces quais me semblent beaux

Tout près, le vieux jardin régulier et tranquille,
Allonge sa terrasse aux arbres reverdis...
Que de fois, accoudée aux balustres tiédis.
J’ai regardé bouger le reflet de la ville.
Quand les bruits des bateaux lointains sont assourdis !

C’est la même fraîcheur de ce nouveau feuillage,
La même acidité d’avril et du vent vert,
Le même charme obscur de ce jardin désert ;
J’y songe au même instant, j’ai le même visage,
Et j’y respire encore un narcisse entr’ouvert.