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dans le sable, et qui détonne au milieu du grouillement d’un marché d’Orient, avec ses rues étroites où les maisons se touchent par le haut, avec son ghetto sordide, — est resserrée jusqu’à étouffer entre ses vieilles murailles croulantes, qui dominent la mer et séparent la cité des jardins. L’activité commerciale est concentrée dans les boutiques des souks : là viennent s’entasser les produits du Soudan, les dattes du désert, pêle-mêle avec les articles indigènes et les importations d’Europe. Le souk des plumes, où sont apprêtées, triées et vendues les dépouilles des autruches du Soudan, est le plus pittoresque. D’autres boutiques travaillent et débitent ces cuirs ouvragés, décorés d’arabesques, qui ont été de tout temps la spécialité de l’industrie mauresque. Voici les ivoires du Soudan, les peaux de chèvres et de moutons, les tapis que tissent et vendent des Tunisiens de l’île de Djerba. La fameuse poudre d’or, que l’on ne manque guère de citer parmi : les articles du commerce saharien, comme si les chameaux l’apportaient à pleines charges, n’arrive à Tripoli qu’en quantités très faibles et chaque année décroissantes. La vente des esclaves noirs ne se pratique plus au grand jour, mais, sous les ombrages épais de quelque jardin des faubourgs, les trafiquans de chair humaine exposent leur marchandise. Le bazar de Tripoli est une sorte de Babel où l’on rencontre des échantillons de toutes les races de la Méditerranée et de tous les peuples de l’Afrique du Nord et du Soudan : chrétiens de toutes les nations européennes ; fonctionnaires et soldats turcs ; Maures et Kourouglis, issus du mélange des Ottomans avec les indigènes ; Arabes des tribus nomades ; Berbères du Djebel Nefousa et des villages troglodytes ; Djerbis habiles au négoce ; Juifs de Tunisie, du Maroc et du Levant, reconnaissables à leurs costumes et maîtres de presque tout le grand commerce ; gens du Fezzan, croisés de sang noir ; Touareg de Rhadamès et de Rhât ; caravaniers et chameliers des lointaines tribus du désert ; nègres du Bornou, du Ouadaï ou du Baghirmi ; esclaves venus des régions du Tchad, du Chari et de la Bénoué et jusque des profondeurs immenses de l’Afrique tropicale. La population sédentaire est d’environ 30 000 individus, dont 4 000 chrétiens, la plupart Maltais ou Italiens, vivant, les premiers surtout, dans une curieuse promiscuité avec les indigènes, partageant leur vie et s’enrichissant à leurs dépens. Tout ce monde se coudoie, trafique, s’agite sous l’œil débonnaire des fonctionnaires, de la police et des soldats du Sultan.