Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/657

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous le reverrez ; il pourra vous donner de mes nouvelles ; je l’aime de tout mon cœur, et je me fie à lui comme à ce qu’il y a de plus loyal et de plus sûr en ce monde. J’aime bien sa femme aussi, et je regrette qu’elle n’ait pas été ici ; c’est une femme d’esprit. »

Le besoin de changer de place et de quitter l’Angleterre la reprenait de temps en temps, surtout lorsque elle était loin de Londres. Alors, elle se rappelait qu’elle s’y portait mal, qu’elle y résidait depuis trop longtemps pour y trouver encore des surprises ; et elle aspirait à changer de milieu, à vivre sous des cieux moins gris et plus propices à sa santé. Mais, une fois rentrée à l’ambassade, elle était reconquise par les souvenirs des dix années écoulées depuis son arrivée, par les satisfactions qu’elle devait à ce poste, par les amitiés qu’elle y avait contractées ; ses plaintes devenaient moins fréquentes, moins vives. Cependant, c’est bien de Londres qu’est datée, — 6 août 1823, — la lettre d’où sont extraites les lamentations qui suivent :

« Ma santé empire plutôt qu’elle ne gagne, et ma position ici m’empêche de rien faire avec suite pour la remettre. J’ai déjà refusé une fois au Roi d’aller chez lui au cottage de Windsor ; il vient de me prier encore d’y venir passer quelques jours ; il faut que je le fasse ; il croit que l’air de Windsor me fera du bien ; mais sa manière de vivre doit m’y faire du mal : veiller et dormir tard me sont tout à fait mauvais. Et cependant, comment, dans ma situation ici, ne pas me plier un peu à cette gêne ? D’autant qu’en ne le faisant pas, ce serait ôter à mon mari aussi les occasions d’être auprès du Roi. Vous ne vous faites pas d’idée combien j’en ai assez de mon métier d’ambassadrice de Russie en Angleterre ; il y est trop beau pour ne pas y être bien incommode. Partout autre part, on aurait beau m’aimer, l’étiquette s’opposerait aux intimités. Je vous prie de ne point croire que cette plainte sente l’orgueil et ne la dites pas à d’autres, car, si l’on ne me comprend point, on me trouvera bien vaine, et Dieu sait que je ne le suis point ; je suis seulement triste et malade. »

Triste et malade, deux mots qui, dans l’avenir, vont souvent tomber de sa plume et qui traduisent les progrès de la transformation que l’âge opère en elle. Elle n’est plus une jeune femme ; elle va sur ses quarante ans, et il y a loin de la petite pensionnaire que nous avons vue s’élancer du couvent de Smolny,