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reste j’ai ignoré le sujet de tout ce tapage ; lorsque je le demandai à Müffling, il éluda de me répondre. »

York écrivit le même jour au roi pour lui demander à être déchargé de son commandement et à quitter le service. Il se répandait en récriminations contre le commandement supérieur. « Peut-être, disait-il, mon imagination est-elle trop bornée pour concevoir les idées géniales dont s’inspire l’état-major du lieutenant général Blücher. » Il évoquait le souvenir de 1806 et il ajoutait : « La précipitation et l’inconséquence dans les opérations… la croyance aux fausses nouvelles, les décisions prises sur la moindre apparence d’un mouvement de l’ennemi, l’ignorance des élémens pratiques dont l’appréciation est bien plus nécessaire pour la conduite des armées que de sublimes conceptions… telles sont les causes qui peuvent ruiner les armées. »

Qui n’aurait cru, avec York, que l’armée de Silésie marchait à la ruine ? Epuisée par des combats incessans et meurtriers, accablée d’épreuves matérielles qui dépassaient ce que l’homme paraît pouvoir supporter, réduite à une retraite qui prenait par momens l’allure d’une déroute, ses effectifs fondus presque d’un tiers en huit jours, le commandement désorganisé par l’insubordination chronique, ou par les résistances scandaleuses des commandans de corps d’armée, n’étaient-ce point là les prodromes assurés de la défaite et de la dissolution ? Et cependant l’armée de Silésie s’acheminait à la victoire. Qui eût cru de même, à la veille de Valmy, au triomphe inattendu des premières armées anarchiques de la Révolution française ?

Il arrive ainsi que les événemens paraissent déjouer toutes les prévisions que peuvent faire naître les circonstances immédiates au milieu desquelles ils se produisent. C’est que le témoin contemporain des faits, ou l’historien qui les analyse, perd de vue l’ensemble des causes générales et lointaines qui en règlent le développement. Et alors le dénouement imprévu qui surgit dans un milieu qui lui paraît contraire surprend et déconcerte. Il semble mal préparé à qui néglige l’ensemble des causes qui l’ont amené. Parfois il prend l’aspect d’un hasard inexpliqué ; parfois, il semble qu’une volonté humaine ait, par son seul effort, brisé tous les obstacles, et remonté les courans qui l’entraînaient. Sous la pression des causes profondes qui condamnaient Napoléon à la ruine, et qui portaient la coalition au succès, un revirement singulier a transformé en marche triomphale la