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d’une loterie à un armement contre les corsaires marocains. C’était le moment d’une de nos ruptures avec Salé et notre marine marchande tombée en discrédit ne trouvait plus de fret en Italie, en Espagne, en Portugal et en Hollande où l’on préférait les bâtimens anglais qui n’étaient pas exposés aux risques des corsaires, l’Angleterre se trouvant en paix avec le Maroc.

Les expéditions organisées contre les corsaires de Salé, croisières, blocus, bombardement, furent, au point de vue de la répression durable de la piraterie, des demi-mesures plus pernicieuses qu’utiles, et l’on peut en dire autant de celles entreprises contre les autres Barbaresques. Quant aux divers traités qui intervenaient à la suite de ces opérations, ils furent la honte de l’Europe. Ce que Depping dit des relations des puissances chrétiennes avec les souverains musulmans de l’Orient, s’applique très exactement à leurs rapports avec les États Barbaresques. « En Europe on déclamait, on écrivait contre leur perfidie ; mais sur place on redevenait humble pour obtenir des libertés de commerce. » Si sévère qu’eût été le châtiment infligé aux corsaires, comme on savait trop par expérience qu’il n’empêcherait pas la course de recommencer, on se préoccupait d’assurer pour l’avenir le meilleur modus vivendi ; on négociait en marchand au lieu d’agir en vainqueur et au nom des intérêts de l’humanité ; on acceptait même de discuter la rançon des captifs avec des pirates, ce qui était les encourager à en faire de nouveaux. Quant à la liberté des mers, chaque puissance, traitant isolément avec le sultan du Maroc, était jalouse de l’obtenir pour elle seule et il y eut des nations qui, pour soustraire leurs vaisseaux marchands à ta course des corsaires, consentirent à certains amoindrissemens dans le cérémonial de réception de leurs ambassadeurs, au maintien de certaines formules employées par les chérifs et flatteuses pour l’orgueil musulman ; elles s’abaissèrent même jusqu’à donner au sultan une redevance annuelle. Ces concessions serviles furent de fâcheux précédens qui peu à peu s’introduisirent dans les protocoles et s’y sont maintenus jusqu’à nos jours ; elles sont l’origine de ces remises de présens que font avec solennité les ambassadeurs chrétiens en mission auprès du sultan. Pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle, la plupart des États européens achetaient la vaine promesse de la sécurité sur les mers en payant annuellement au Maroc un tribut en argent, et les chérifs, parlant des nations chrétiennes, les qualifiaient