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définit les religions par leur tendance à l’universalité, on oublie que, s’il y a des religions « universelles, » il y en a aussi de « nationales, » qu’on pourrait nommer, et dont les confins, de nos jours mêmes, se hérissent, pour ainsi parler, d’autant de baïonnettes que les frontières de la race avec laquelle elles font corps. Mais ce qu’il faut dire, plus simplement, c’est que la Révolution française « a procédé à la manière des révolutions religieuses, » parce qu’elle-même en était une, et sous ce rapport, je ne vois même pas qu’elle diffère sensiblement de la Révolution d’Angleterre, — celle de 1648, — et encore bien moins du grand mouvement de la Réforme.

On peut essayer de dire en quoi consiste le caractère religieux de certaines révolutions, — j’entends celles qui sont l’œuvre d’une collectivité, — et à quels signes on les reconnaît donc. C’est que la grandeur des événemens y déborde ou y dépasse, et en tout sens, la médiocrité de ceux qui s’en croient ou qu’on en croit les auteurs, mais qui n’en sont que les artisans. Tel est le spectacle que nous offre l’histoire de la Révolution française. La disproportion y est prodigieuse entre l’œuvre et les ouvriers, Les plus fameux d’entre eux, — un Mirabeau, un Danton, un Robespierre, Bonaparte lui-même, peut-être, — ne sont les maîtres du mouvement qu’autant et dans la mesure où ils s’y abandonnent. Ils sont « agis » plus souvent qu’ils n’agissent. Un courant plus fort qu’eux les entraîne, les emporte, les roule, les brise… et continue de couler. Et parce qu’ils s’en rendent compte confusément, parce qu’ils se sentent les instrumens ou les jouets d’une force majeure, parce qu’ils ont éprouvé qu’ils ne sont rien sans elle, ou peu de chose, ils s’en font littéralement une idole ou un Dieu :


Est Deus in nobis, agitante calescimus illo


que, littéralement aussi, ils adorent, et dont ils deviennent, après en avoir été les prophètes, non seulement les apôtres, mais encore et au besoin les martyrs. C’est ainsi que les mouvemens « collectifs » se transforment en mouvemens « religieux. »

Nous étonnerons-nous, après cela, que le même Tocqueville, qui avait si bien discerné ce qu’il y a de « religieux » dans la Révolution française, ait écrit » qu’à mesure que son œuvre