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deux morales, l’une pour la France, l’autre pour l’étranger, sans avoir d’autre argument pour justifier ses inconséquences que le plus vulgaire et le plus grossier de tous, celui de la force qui prime le droit. En vérité, ne nous est-il pas permis de comparer la conduite et les procédés de notre gouvernement vis-à-vis de la Turquie et des peuples d’Orient avec les procédés de la politique mercantile de l’Angleterre, alors que le gouvernement anglais prohibait, chez lui, la vente de l’opium, tandis qu’il faisait la guerre à la Chine pour imposer aux marchés chinois la libre entrée de l’opium de l’Inde ? Voilà l’écœurante humiliation que le fanatisme anti-clérical de nos majorités parlementaires aura value à un pays justement fier d’avoir personnifié, tour à tour, aux yeux des peuples, ce qu’il y a de plus noble dans la tradition de la foi chrétienne et ce qu’il y a de plus généreux dans les aspirations de l’humanité nouvelle. Et dire que, pour échapper à cet avilissement d’une double politique ou d’une double morale, pour conserver à la France le droit de porter la tête haute en face des nations, il n’y avait qu’à rester fidèle à soi-même, qu’à se fier à l’esprit moderne, à la raison ou au bon sens français ; il n’y avait qu’à laisser la France donner, chez elle, l’exemple de ces principes qu’elle prétend représenter aux yeux des peuples, et qu’à reconnaître, à tous les Français, sans privilège pour les uns, sans exception pour les autres, l’égal bénéfice de la liberté, dans le droit commun !

Les habiles de l’anti-cléricalisme n’auront même pas longtemps la ressource de cette contradiction flagrante entre notre politique intérieure et notre politique étrangère. La France officielle ne saurait toujours se présenter au monde comme une sorte de Janus à deux visages, ou mieux à deux masques opposés. Cela est trop contraire à la droiture de l’âme française et à la logique de notre caractère national. Il faudra choisir ; et nous savons que le choix des radicaux et des socialistes est déjà fait. Entre leurs préjugés de secte et les intérêts nationaux, entre la politique de persécution au dedans et le protectorat catholique au dehors, ils ne connaissent pas d’hésitation. Ils optent, déjà, résolument, pour la politique anti-chrétienne. Plutôt que de concéder la jouissance du droit commun à des religieux, plutôt que de reconnaître le droit d’enseigner à des Frères et à des Sœurs, ils sacrifieront joyeusement les écoles et les établissemens français du dehors ; ils immoleront sans scrupules les intérêts de la