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Pour ce que Votre Excellence daigne me dire pour moi-même de bon et d’aimable dans sa lettre, je vous en remercie sincèrement. Votre Excellence sait que je tiens à l’opinion du grand citoyen auquel la France a confié son gouvernement dans cette crise.


Il a gardé de son voyage à Versailles un si agréable souvenir, qu’il y retournerait volontiers :


Croyez-vous que cela n’ennuierait pas M. Thiers de me revoir ? Je ne suis retenu que par cette crainte, car mon souhait le plus vif est de passer quelques instans près de lui, et d’entendre sa parole, d’amasser de nouveaux et précieux souvenirs de mes rapports avec l’homme dont la conversation m’a le plus impressionné, et pour lequel je professe la plus respectueuse admiration.


Mais ce n’est pas pour Versailles que M. de Manteuffel va partir, c’est pour Berlin, appelé « par l’inimitié déguisée, mais toujours en éveil, de M. de Bismarck. » Une autre crainte que celle d’« ennuyer » M. Thiers en allant le revoir assiège et occupe son âme : l’espèce de terreur enfantine qu’a ce vieillard chargé d’ans et d’honneurs de tout ce qui pourrait « mettre en jeu sa situation. » Il sent peser sur lui de loin la défiance ombrageuse du Chancelier, plus près la jalousie inquiète de M. de Waldersee. Il est perpétuellement à l’affût du moindre signe d’approbation ou de satisfaction du maître ; il se meurt de songer aux intrigues de cour qui peut-être se tissent autour de lui. A la longue, il n’y tient plus ni ne se tient plus ; il accourt ; et il retrouve la paix, le calme, la possession de soi, en trouvant le Roi toujours le même et Bismarck moins hostile qu’il ne le pensait :


Le général revient avec une faveur mieux assise, des pouvoirs bien déterminés, une situation solidement établie, et il se déclare extrêmement satisfait des résultats de son voyage.


Une situation solidement établie ! M. de Manteuffel va pouvoir se livrer en toute sécurité au plaisir de plaire. Et en voilà jusqu’à la nouvelle alerte ! Même de ces méchantes querelles qu’on lui veut chercher à Berlin, il se fait un mérite auprès de M. Thiers, qui n’y est d’ailleurs qu’à moitié pris, car on ne prend M. Thiers que lorsqu’il veut bien se laisser prendre. Bismarck lui-même, si peu tendre et souvent si peu juste qu’il se soit montré envers lui, l’a avoué devant Maurice Busch : C’est une tête fine ! — M. Thiers écrit donc à M. de Saint-Vallier ;