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un rôle peu flatteur, il en est tout étourdi. Mme de Dino pleure et lui ne rit pas. De plus, toutes ses spéculations particulières ont donné à faux. On dit qu’il a perdu huit cent mille francs dans les fonds. Il joue selon qu’il arrange la politique, ou bien, il fait celle-ci selon que cela arrange ses finances, et aujourd’hui, il n’arrange plus ni l’un ni l’autre. Lord Grey l’adore, lord Palmerston le déteste, lord Holland lui dit tous les secrets du cabinet, mais, en définitive, lord Palmerston se moque de ce jeu de ses collègues et de tout le monde. Son inimitié a paralysé Talleyrand complètement. Il voulait rapprocher nos Cabinets ; il s’en est un peu vanté à Paris. Palmerston l’a su et l’a devancé ; il a fait à mon mari des ouvertures conciliantes. Talleyrand en a été abasourdi, et je crois que ce qu’il voulait fait par lui ne lui plaît plus fait par un autre. Nous sommes, me semble-t-il, sur le meilleur pied possible ; mais, c’est un grand coquin. »

Elle l’avait déjà dit de Metternich, oublieuse d’un passé où, loin de le tenir pour tel, elle jouissait délicieusement de sa tendresse. Elle le redisait de Talleyrand à qui elle ne devait pas les mêmes ménagemens. On ne peut que regretter de trouver sous sa plume ces épithètes violentes, qu’elles s’appliquent à l’homme qu’elle avait aimé ou à celui qu’elle affectait de mépriser, bien qu’il n’eût cessé de lui témoigner, depuis qu’ils se connaissaient, une déférence affectueuse. Elle était d’autant moins excusable de se modérer si peu dans ses appréciations qu’au même moment, son chagrin de quitter Londres trouvait une atténuation consolante et flatteuse dans les témoignages de regret qu’à la veille de son départ, elle recevait de tous côtés.

Lord Grey qui était resté son ami, bien qu’il eût quitté le pouvoir, lui adressait de touchans adieux, lui parlait de sa douleur « si impossible à exprimer. » — « Jamais je n’oublierai le bonheur que j’ai trouvé dans votre société. Je ne cesserai jamais d’en regretter la perte. » D’autres manifestations de même nature lui permettaient de dire : « Il faut que je me répète sur un point, c’est le respect, l’affection, l’estime, les regrets unanimes dont mon mari est l’objet. Je ne puis rien exagérer dans ce genre. Le gouvernement, les torys, les radicaux même, tous regardent son départ comme une catastrophe. Il est touché de ces témoignages, et il serait impossible qu’il ne le fût pas. »

Bientôt d’ailleurs, venaient se mêler à ces émotions des soucis d’ordre plus matériel.