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quarante-cinq régimens, le nombre des cadres est peu différent. La dépense est plus forte, parce que nous voulons tout dire et ne plus faire comme sous l’Empire, c’est-à-dire ne plus épuiser les approvisionnemens sans les remplacer. Il est vrai qu’il y aura dans le budget spécial, dit de liquidation, une dépense pour la guerre, mais c’est pour la réparation de nos places. Voilà la vérité rigoureuse. Il n’y a là rien d’accidentel, rien en vue d’une guerre prochaine, et tout y est pour le permanent, le durable, le constitutif. Du reste, ces détails, il faut les donner amicalement, officieusement, car à un autre titre nous les refuserions. Personne n’a le droit de nous demander ce que nous faisons chez nous, surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’armemens offensifs, mais d’armemens défensifs et vraiment organiques. Autrement ou aurait des explications à demander à toute l’Europe. Quant à nos affaires intérieures, elles vont bien. J’ai eu une affaire avec la Chambre, mais qui a eu un bon résultat, un résultat pacificateur. La Chambre est omnipotente, et il n’y a que moi pour lui résister. Sur les choses secondaires, je lui cède, mais, sur les choses capitales (et il n’y en a pas de plus capitale que le système financier), je dois résister. Je l’ai fait, jusqu’à donner ma démission, et elle s’est arrêtée, comme vous l’avez vu. Je suis resté, je resterai par devoir et pour mener ma tâche (la réorganisation) à fin. Cette crise ne se renouvellera pas, et j’espère mener mon œuvre à bonne fin.


Si, de temps en temps, M. Thiers feint de céder à un mouvement nerveux, s’il brusque les choses en apparence, c’est qu’avec une assemblée, il n’y a souvent pas d’autre manière de les arranger ; le plus sûr moyen pour lui de rester est de menacer de s’en aller ; et il veut rester « par devoir, » il faut qu’il reste, envers et contre tout, non pour lui, mais pour « sa tâche, » pour « son œuvre, » jusqu’à la fin.


Je suis un philosophe au pouvoir. J’y suis malgré moi, par le sentiment que, si je m’éloignais, le chaos reparaîtrait dans le pays, et je sais que, lorsqu’on est au fond un bon citoyen et un honnête homme, on a un juge infaillible : c’est le temps. C’est lui qui est la justice, et les journaux ne sont que la triste voix de la sottise des partis.


Contre la sottise des partis, contre cette injustice qu’est l’ingratitude des hommes, il se réfugie donc dans la justice du temps. Pourvu seulement qu’il lui soit donné de « mener son œuvre à bonne fin, » il attend sa revanche de la postérité, qui est « le seul avenir » des vieillards. Au prix de son œuvre achevée, il n’est fatigues, ni traverses, qui vaillent d’être considérées. L’essentiel, le nécessaire, l’indispensable, c’est que la France vive, et si la France vit, il vivra ; or, cette vie seule vaut