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III

L’œuvre précoce de Grazia Deledda est déjà considérable. Elle se compose de trois volumes de nouvelles : Racconti Sardi (1893), Le Tentazioni (1899), La Regina delle tenebre (1902),— et de sept romans : Anime oneste (1896), La via del Male (1897), Il Tesoro (1898), La Giustizia (1899), Il vecchio della Montagna (1900), Elias Portolù (1901), Dopo il Divorzio (1902)[1]. Si l’abondance de la production, en Italie surtout, n’est pas toujours signe de force, on peut ici l’admirer sans scrupules, puisqu’il n’est aucun de ces volumes qui ne contienne quelque chose de délicieux, et que les trois derniers au moins sont des manières de chefs-d’œuvre.

Les nouvelles sont variées : vivantes analyses de crises sentimentales, idylles ou drames rustiques, tableaux de mœurs sardes, scènes de famille. Six ou huit sont parfaites ; trois ou quatre peuvent servir d’exemples.

Quirico Oroveru, surnommé Barabba pour avoir représenté une fois ce personnage dans un drame sacré, autrement dit Zio Chircu, l’oncle Chircu (on donne en Sardaigne le titre d’oncle à tous les vieillards), est plus pauvre qu’un mendiant ; mais il est fort, grand, rouge, et sourit toujours. Jusqu’à quarante-cinq ans, il gagne sa vie à couper des arbres, sans autorisation, dans les bois de l’Etat. À ce métier il finit par être condamné à l’amende et, comme il ne peut la payer, à la prison. Il n’y comprend rien et se réfugie dans la forêt, toujours coupant innocemment les arbres de l’Etat, qu’un ami se charge de vendre dans les villages. Un jour, sous une souche, il découvre un portefeuille où l’ami, qui sait lire, reconnaît le portefeuille d’un riche négociant assassiné quelques mois auparavant. Il y a des chèques, autant dire de l’argent comptant : Zio Chircu se laisse tenter. Il n’a jamais eu de chaussures ; il va s’en acheter à Nuoro, un des précieux papiers dans sa ceinture.

Il choisit de gros souliers de cuir jaune, avec d’énormes clous qui brillent comme de l’argent, et de longues courroies noires. Il tend le chèque au marchand...

  1. La Nuova Antologia publie en ce moment même un nouveau roman de Mme Grazia Deledda : Cenere, plus étendu que les précédens et où, en quelques parties, les dons caractéristiques de l’auteur se développent encore avec plus d’ampleur.