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en plus la main sur renseignement, conformément à la tradition napoléonienne. — La loi anglaise décharge les écoles libres, sans distinction de confessions, de presque tous les frais de leurs écoles, et leur en laisse la direction sous un certain contrôle ; elle s’efforce de maintenir l’esprit religieux dans l’école laïque. Le législateur anglais n’ignore pas que, comme l’écrivait ici même M. de Pressensé, qui flétrissait alors le fanatisme anticlérical des radicaux français, « la liberté de conscience de chacun serait autant et peut-être plus violée par la distribution, au nom de l’Etat et aux frais des contribuables, d’un enseignement absolument irréligieux, quand il n’est pas systématiquement antireligieux, que par l’imposition d’un enseignement confessionnel[1]. » En France, la loi refuse à toute une catégorie de citoyens le droit d’enseigner, et supprime leurs écoles qu’il surveillait, sans les subventionner.

L’opposition de méthode n’est pas moins frappante. La législation anglaise ne part jamais de principes absolus : elle se fonde sur l’observation et l’expérience, elle procède par évolution graduelle. Elle considère la société comme un organisme complexe et se règle sur sa croissance. Elle n’a pas de règle invariable et uniforme pour toute la nation. En matière scolaire, l’Angleterre, Londres, l’Ecosse, l’Irlande, les colonies sont soumises à des lois spéciales, établies selon les circonstances locales : « Tradition et progrès, liberté religieuse, liberté politique, mais avec toutes les transitions et gradations que réclame le respect de la coutume, telle est, en tout et partout, la méthode anglaise[2]. » Il n’est pas de documens plus précieux pour la psychologie des peuples que ceux qu’on emprunte à la législation comparée.

Le grand intérêt politique de l’Education Act gît dans la question de savoir s’il consolidera pour l’avenir la puissance, si assurée aujourd’hui grâce aux divisions des libéraux, du parti conservateur en Angleterre. Par là l’Education Act dépasse la politique intérieure ; il touche aux rapports de l’Angleterre avec les autres nations.


J. BOURDEAU.

  1. La Crise du Libéralisme. Revue des Deux Mondes du 15 février 1897, p. 789.
  2. A. Fouillée, Esquisse d’une psychologie des peuples européens, p. 215.