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l’Empereur, ce programme, si considérable qu’il fût, ne constituait que la réparation des fautes antérieurement commises, et que la contre-partie d’une longue inaction. Ce que souhaitait Guillaume II, c’était une force navale plus considérable encore. Il voulait mettre l’Allemagne au premier rang des puissances maritimes du continent, la rendre aussi redoutable sur mer que sur terre. Les événement qui se succédèrent au dehors servirent ses vues et semblèrent en démontrer la justesse : ce fut d’abord le conflit hispano-américain, où, faute d’un matériel suffisant et d’une organisation sérieuse, la malheureuse Espagne perdit ses vaisseaux, ses colonies, et succomba ; puis, la crise de Fachoda, qui fit entrevoir à toutes les nations de l’Europe la possibilité d’une agression de l’Angleterre ; puis, les affaires de Samoa, au cours desquelles l’Empire lui-même dut se croire un instant menacé ; enfin, la guerre de l’Afrique du Sud, qui causa de la Weser à la Vistule une émotion si profonde. On se servit successivement de tous ces événemens pour agir sur l’opinion, pour frapper les esprits et faire apparaître le péril. Mais les articles de journaux, les brochures ne suffisaient pas. On organisa alors, sous le patronage de l’Empereur, cet instrument admirable de propagande qui s’appelle la Ligue navale. On envoya des officiers prêcher la bonne parole jusque dans les petites villes de province ; on promena un musée de marine à travers ! s pays ; l’Empereur lui-même, usant pour la première fois officiellement de ses talens de peintre, fit accrocher dans les couloirs du Reichstag des tableaux faits de sa main où figuraient, les unes à côté des autres, les silhouettes de tous les vaisseaux de l’Europe. Il espérait montrer ainsi et faire éclater à tous les yeux l’infériorité de la flotte allemande comparée aux flottes des puissances voisines. Par tous les moyens, on prépara le grand coup parlementaire que depuis longtemps on méditait.

Quand, enfin, on crut le moment venu, le 28 octobre 1899, l’amiral de Tirpitz déposa sur le bureau du Reichstag un nouveau projet, qui proposait le doublement de la force navale accordée par la loi précédente. Malheureusement, en dépit de toutes les prévisions et quoique la volonté de l’Empereur eût été rendue publique, ce projet fut plus que froidement accueilli. On ne pouvait croire qu’alors que le premier programme entrait à peine en exécution et que les navires venaient à peine d’être mis en chantier, on osât proposer un nouveau programme, aussi