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la durée de ces bâtimens a été fixée : elle sera de vingt-cinq ans pour les cuirassés ; de vingt ans pour les croiseurs.


On le voit : l’évolution est complète. De la marine mercenaire du grand électeur on est parvenu à faire une marine nationale ; de la conception de Frédéric II, bornée à une défensive étroite, on est arrivé à la conception grandiose de la maîtrise de la mer. Maintenant, quel rôle cette flotte nouvelle va-t-elle jouer dans le monde ? de quelle manière exercera-t-elle son action dans les guerres futures ? Le formidable programme proposé au Reichstag par M. l’amiral de Tirpitz peut donner, à ce sujet quelques indications utiles. Et d’abord, la proportion calculée entre le nombre des cuirassés et celui des croiseurs, deux croiseurs cuirassés seulement par escadre, montre suffisamment qu’elle se prépare à la guerre classique et aux batailles rangées. La guerre de course, si toutefois elle songe à l’entreprendre, ne doit être pour elle qu’un accessoire peu important. De pareilles dispositions n’ont pas le hasard pour cause. Elles ne naissent pas soit d’une obéissance irraisonnée à des traditions anciennes, soit encore de l’obligation où parfois les gouvernemens se trouvent de fournir aux établissemens métallurgiques un travail plus rémunérateur. Un programme aussi complet, qui exige des crédits aussi considérables pour son exécution, est à la fois dicté, comme d’ailleurs devraient l’être tous les programmes maritimes, par la politique et par la situation géographique du pays. La configuration du sol, aussi bien que les intérêts de la nation, imposent les méthodes et les combinaisons stratégiques. C’est ce que M. l’amiral de Tirpitz a souvent développé au Parlement et dans les réunions diverses où il a pris la parole. L’Allemagne, a-t-il dit en substance, est condamnée à la guerre d’escadre : elle n’a d’autre moyen de salut que la bataille rangée. La guerre de course lui est interdite. Dans la Baltique, ses croiseurs seraient emprisonnés. Ils seraient de même facilement bloqués au fond de l’entonnoir que le golfe allemand, où se déversent l’Elbe et la Weser, forme dans la mer du Nord. A l’extérieur, elle n’a pas un seul point d’appui, pas une seule rade où ses bateaux puissent se réfugier, soit pour panser leurs blessures, soit pour se réapprovisionner en charbon, soit encore pour ramener leurs prises. Sur toute l’étendue du globe, elle ne possède que Tsing-Tao, à l’extrémité de la Chine, en état de servir de base d’opérations. Il en