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qui se vendait de plus en plus. Les moyens courans de séduction furent employés envers lui, à l’heure des luttes électorales ; mais c’était le goût de Jacob de s’en tenir à d’autres combats. Il voulait réformer le monde. L’épicier du coin, par exemple, se plaignait-il d’être ruiné par les mauvaises payes qui l’obligeaient à voler d’honnêtes gens pour rétablir l’équilibre, il s’emparait du cas, exposait les faits, promettait de nommer en toutes lettres les débiteurs récalcitrans, s’ils ne venaient à résipiscence, les nommait en effet avec le chiffre de leurs dettes. A quel résultat arrivait-il ? A se faire nombre d’ennemis, parmi lesquels figurait l’épicier lui-même, ce qui n’empêchait pas le tirage de monter, rien n’intéressant les gens autant que la divulgation des secrets du voisin. Riis, chevalier de toutes les causes justes, s’attira des injures, des menaces, des attaques armées, mais il était de force à se défendre. Cette vie de pugilat finit par l’ennuyer pourtant ; il vendit sa gazette populaire cinq fois plus cher qu’il ne l’avait achetée et s’en alla faire un tour en Europe. Pour cela, il avait ses raisons, des événemens de la plus haute importance, à son gré, s’étant passés à Ribe.

Elisabeth, après tout, n’était pas mariée. Le fiancé, si brillant, devait mourir d’une maladie de poitrine. Les médecins l’avaient envoyé passer l’hiver à Montreux, avec défense absolue de revenir en Danemark. Et alors Elisabeth, quittant ses parens, qui s’opposaient au mariage avec un incurable, avait cherché refuge auprès de la famille de celui qu’elle aimait. Jusqu’à la fin, elle le soigna comme l’eût fait une épouse. Maintenant, brouillée avec les siens, elle cachait son deuil dans une maison étrangère, où elle était institutrice.

Un esprit soupçonneux et jaloux eût peut-être vu en tout cela bien des raisons d’hésiter devant la démarche que Jacob, au contraire, fit sans perdre une minute. Une fois de plus il offrit à Elisabeth de partager sa vie, et la réponse arriva, la réponse qu’il avait attendue six longues aimées.

Elle lui disait : — « Nous nous efforcerons de faire du bien ensemble. » — Et elle a tenu parole.

La ville de Ribe vit revenir son enfant prodigue, heureux et triomphant ; le professeur Riis eut la joie d’apprendre qu’un de ses fils au moins s’était mis à écrire. La demande du fidèle Jacob réconcilia les orgueilleux parens d’Elisabeth avec leur nièce ; les portes du « château » s’ouvrirent enfin à l’ancien apprenti