Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa bande. La civilisation avait vaincu. Ce sont ces victoires qui font la joie et l’espérance de Jacob Riis.

Dans un réduit sordide où végétaient de pauvres enfans peu accoutumés aux cadeaux, il dressa un arbre de Noël. Trois semaines après, l’arbre verdoyait encore, debout dans un coin de la chambre : — J’ai eu bien envie de le brûler du froid qu’il fait, dit la mère, dont le mari était à l’asile des aliénés, mais je n’ai pas pu. C’est si gai de l’avoir là !

— Mon arbre, ajoute Jacob Riis, avait produit les fruits que je souhaitais.

Il saisit ainsi toutes les occasions de consoler en moralisant, et il s’entend à les faire naître. Ses propres enfans ont un jour l’idée de le charger, pour les petits pauvres, de bouquets cueillis dans les champs. L’idée lui paraît heureuse et, le soir même, un soir de juin, il écrit dans son journal : « Les trains, qui amènent chaque matin des milliers d’individus de la banlieue qu’ils habitent aux magasins et aux bureaux de New-York, passent par des campagnes en fleur que les yeux des enfans pauvres n’ont jamais vues. Dans les logemens fétides de la grande ville, l’été est la pire des saisons ; il répand la maladie et la mort. Combien d’yeux se fermeront sans s’être jamais reposés sur un champ de trèfle ou de marguerites ! Si nous ne pouvons leur donner les champs, pourquoi ne pas leur donner les fleurs ? Que chaque voyageur parti de la campagne, homme, femme ou enfant, apporte une gerbe de fleurs sauvages. Ce sera une œuvre de charité qui en vaudra beaucoup d’autres. Les bouquets seront reçus au bureau de police de la Tribune. »

Il eut presque lieu de regretter ce dernier paragraphe, car les fleurs arrivèrent par charretées ; c’étaient des caisses, des tonnes, des bourriches, des paniers expédiés souvent de loin. La police crut à une émeute. La populace assiégeait le bureau des agens portèrent sur différens points de la ville cette moisson odorante dont la distribution arrêtait les cris des enfans et amenait un sourire sur des visages désespérés. Les Italiens eux-mêmes interrompirent leurs querelles pour « maintenir l’ordre, » et un bon prêtre catholique improvisa le plus aimable quatrain en l’honneur des « pâquerettes pacificatrices qui, sans paroles, exhalent un message d’amour et charment le rude labeur de leurs frères, nés de la terre comme elles… »

Une vision de beauté passa, ce printemps-là, sur les slums.