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elle-même. Le corps de l’homme n’est pas le parfait chef-d’œuvre que l’on dit. Il n’est pas sans présenter de grands défauts. — L’œil, cette prétendue merveille de l’industrie de la nature, cause, dit Helmholtz, une grande désillusion à qui l’étudié de près. Johannes Muller a constaté que la correction de l’aberration y est insuffisante. — L’organisme est encombré d’inutilités gênantes : il est parsemé de véritables ruines organiques, organes rudimentaires sans rôle ni fonction, ébauches abandonnées et inachevées dans les diverses parties du corps. La caroncule lacrymale, vestige de la troisième paupière des mammifères, les muscles extrinsèques de l’oreille, sont sans usage. Sans usage également l’épiphyse du cerveau ou glande pinéale qui n’est que le rudiment d’un organe ancestral, le troisième œil ou œil cyclopéen des Sauriens. — Mais il serait vain de poursuivre cette rémunération. La liste est interminable. Widersheim a compté chez l’homme cent sept de ces organes héréditaires avortés et qui n’ont qu’une signification généalogique. Ce sont les ruines irrécusables d’organes utiles aux types ancestraux, successivement atrophiés au cours des temps, par suite des modifications survenues dans le milieu ou dans les conditions d’existence. Ils sont là en quelque sorte pour sauver le coup d’œil, et accuser le plan ; comme ces ornemens ou ces fausses fenêtres que les architectes disposent sur une façade pour en conserver la symétrie. — Nous avons qualifié ces organes d’inutiles ; c’est nuisibles qu’il faudrait dire, car ils deviennent fréquemment le point de départ de tumeurs diverses. Ils constituent ainsi une misère et de plus une nouvelle désharmonie de la nature humaine.


Par suite de ces diverses désharmonies, la vie physique de l’homme est insuffisamment réglée par la nature. Ni l’instinct physiologique, ni l’instinct familial, ni l’instinct social n’ont, en général, une précision assez impérative. De là, puisque le mobile intérieur n’a pas assez de puissance, la nécessité d’une règle de conduite exerçant son influence du dehors. Ce sont les philosophies, les religions et les législations qui y ont pourvu. Elles ont réglé l’hygiène de l’homme et l’exécution de ses diverses fonctions physiologiques. Ces grandes disciplines ont toujours comporté une partie hygiénique. La science de l’hygiène a hérité de leur rôle ; aujourd’hui, elle les remplace.

L’idée de la perversité foncière de la nature humaine est née