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estime qu’il y a trop longtemps qu’on n’en a parlé. N’est-ce pas dans cette affaire que le parti radical-socialiste a trouvé les forces qu’il a habilement tournées contre la politique libérale et modérée ? Quand ces forces s’épuisent, n’est-il pas naturel de leur part de remonter à la source et de s’y retremper ?

On ne comprendrait rien à la politique actuelle si on ne la rattachait pas à la cause originelle qui en a déterminé tous les développemens. En l’affirmant toutefois, nous indiquons du même coup qu’il ne s’agit pas dans notre pensée de Dreyfus lui-même, mais de son affaire, ce qui n’est pas du tout la même chose : il n’a pas fallu longtemps, en effet, pour que celle-ci se séparât de celui-là et en devînt indépendante. S’agit-il seulement de savoir si Dreyfus est coupable ou innocent ? Les tribunaux compétens se sont prononcés, nous n’avons pas à le faire nous-mêmes ; mais, certes, chacun est libre de conserver son opinion, ou son impression à ce sujet, sans que nous ayons la moindre idée d’en faire un grief à qui que ce soit. Rien n’est plus respectable qu’une conviction sincère, lorsqu’elle est en même temps désintéressée. Dans les deux camps entre lesquels la France s’est si douloureusement divisée, nous connaissons des hommes qui ont eu une conviction de ce genre et en ont beaucoup souffert : nous ne voudrions pour rien au monde raviver leurs angoisses, laissant au temps qui a commencé de les calmer le soin de terminer son œuvre. Mais il y a un parti qui ne veut pas de cet apaisement : c’est celui dont nous venons de parler, celui qui s’est servi de l’affaire pour désorganiser toutes les forces politiques et sociales du pays, jeter partout la division, attaquer et déshonorer l’armée, accuser le clergé et les congrégations religieuses d’avoir voulu faire, en sens inverse, l’œuvre de haine qui lui a réussi si bien à lui-même, enfin pousser ses champions dans les ministères et se saisir du gouvernement. Ce parti se propose aujourd’hui de recommencer la campagne en se servant des mêmes armes, et déjà, il y a quelques jours, il s’est livré en pleine Chambre à une première escarmouche qui, fort heureusement, n’a pas très bien tourné pour lui. M. Ribot, mis en cause par les socialistes, les a accusés à son tour de s’être, après beaucoup d’hésitations, de tâtonnemens et de défaillances auxquelles ils n’ont pas échappé plus que d’autres, emparés enfin de l’affaire pour en faire un usage tout politique. Et c’est ce qu’il faut répéter une fois de plus, puisque les socialistes veulent recommencer. Ils n’y réussiront d’ailleurs pas. Le pays n’écoute plus lorsqu’on lui parle de l’affaire Dreyfus ; il en est excédé, il ne la laissera pas rouvrir. Mais que penser des socialistes