Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/742

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demandait absolument rien. Aussi ne croyait-il pas qu’il y eût lieu à entente préalable ; il ne voulait donner aucune promesse qui l’engageât ; il l’avait refusée à l’Autriche ; il ne pouvait l’accorder à sa rivale. Bismarck, alors, croyant cette partie perdue, se retourna par un de ces bonds de panthère auxquels son échine flexible était toujours prête.

Un certain Antoine Gablentz, frère du gouverneur autrichien du Holstein, naturalisé Prussien, voyait avec douleur l’explosion d’une guerre fratricide entre son ancienne et sa nouvelle patrie. Spontanément il avait essayé de la conjurer et promenait de Vienne à Berlin des projets de réconciliation à peine écoutés. Bismarck aux abois l’appela et arrêta avec lui les conditions suivantes à proposer à Vienne : création d’un État indépendant dans les Duchés sous un prince prussien, le prince Albert ; Kiel, Düppel, Sonderburg données à la Prusse ; réforme d’un commun accord de la constitution militaire fédérale ; commandement en chef de la Confédération du Nord attribué à la Prusse ; celui de la Confédération du Sud à l’Autriche. Quoique chaque souverain de la Confédération conservât son droit sur ses contingens, il devrait recevoir la même organisation, le même armement, la même éducation.

C’était le partage de l’Allemagne. Une telle opération ne serait pas docilement subie par la nation, si on ne lui offrait un beau cadeau de noce. Ce beau cadeau serait l’Alsace et Strasbourg. La France était comme le vautour épiant le moment du carnage ; elle attendait que le sang coulât en Allemagne pour se jeter sur sa proie. Menacées d’un pareil danger, les deux puissances allemandes avaient plus d’intérêt à s’entendre qu’à se battre. Elles étaient à l’apogée de leurs armemens, qu’avaient-elles à redouter de la France dont l’armée venait d’être désorganisée et affaiblie par l’expédition du Mexique ?

Naturellement une telle alliance supposait la garantie des territoires réciproques, et par conséquent de la Vénétie à l’Autriche. Qu’importait à Bismarck ? Il n’y avait pas à se préoccuper d’une prétendue alliée qu’on était certain de retrouver sur le champ de bataille à côté de la France. Voilà le plan soi-disant acceptable que Gablentz développa à l’empereur d’Autriche le 25 mai[1].

  1. Bismarck a si souvent raconté ce fait et à tant de personnes diverses qu’il ne fait plus de doute. Voyez Friedjung Der Kampf um die Vorherrschaft in Deutschland, 1859-1866 ; — Chiala, Ancora un po più di luce, et (surtout Moritz Busch, Unser Reichskanzler, t. I, p. 422.