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XI

Dès 18K2, Bismarck avait dit : « C’est ferro et igni que doit se dénouer la querelle ouverte depuis Frédéric et Marie-Thérèse pour la domination en Allemagne. » Il ne réussissait qu’en 1866 à ouvrir le formidable duel. Que de patience, que d’efforts exténuans, que de travail, que de courage pour y parvenir ! Combien de fois il a pu croire tout perdu ! Mais aucun contretemps, aucune mauvaise volonté, aucun acharnement, aucune intrigue ne lassent son indomptable génie. Autour de lui ou devant lui, personne qui ne tâtonne, ne fléchisse ou ne se démente ; lui seul, au milieu du va-et-vient des faits et des projets, demeure immuable comme le roc qui se rit de la vague. Ses contradictions apparentes ne sont que des souplesses tactiques ; il ne prend pas même la peine de dissimuler son dessein, n’employant que les fourberies de style auxquelles se prennent seulement les niais ou les complices volontaires. A mesure qu’il approche des sommets de son ambition, ses pensées s’étendent avec l’horizon plus vaste ouvert à son regard. Déjà depuis longtemps, de hobereau fanatique de l’alliance autrichienne, il était devenu Prussien ennemi de l’Autriche ; il se fit alors décidément Allemand, à la façon des hommes de 1848, ses anciens ennemis. Luther a comparé l’Allemagne à un beau et fougueux étalon, abondamment pourvu de fourrage, auquel manquait un cavalier. « Me voici, dit Bismarck à cette Allemagne : je suis le cavalier que tu attends ; ne viens-je pas de te prouver que je sais bien manier le mors et l’éperon ? » Admirable exemple de ce que peut une volonté.

Une seule volonté eût pu briser la sienne : celle de Napoléon III. Plus d’une fois, l’Empereur aurait pu d’un veto déjouer ses calculs, déconcerter son audace, rendre sa guerre impossible, l’obliger à capituler devant son Parlement et devant l’Autriche, le réduire à n’être qu’un Radowitz foudroyé. Ce veto, quelque effort qu’on ait fait pour l’obtenir, l’Empereur ne le prononça pas. Il est dans la destinée que ce soit toujours avec les encouragemens de la France que la Prusse aille aux entreprises ambitieuses : « Quand Frédéric envahit la Silésie, il semblait seul, sans allié ; mais, en réalité, il avait la France derrière lui[1].

  1. Michelet.