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y a lieu de croire que les ennemis souffriront beaucoup dans peu de jours tant par le manque de fourrages que par le manque de communication avec leur pays[1]. »

Le nouveau plan consistait, en effet, à couper les communications de l’ennemi et à l’enserrer dans un demi-cercle qui s’étendrait depuis Bruges jusqu’à Tournay en l’empêchant par ce moyen de tirer, soit de Bruxelles, soit d’Anvers, les approvisionnemens et surtout les munitions nécessaires au siège d’une place aussi importante que Lille et d’une armée aussi nombreuse que celle d’Eugène et de Marlborough. Ce plan n’avait par lui-même rien de chimérique. Nous savons aujourd’hui, par les documens anglais, combien l’entreprise où les ennemis étaient engagés leur paraissait hasardeuse, et à quelles inquiétudes ils étaient en proie. « Le siège va si lentement, écrivait Marlborough à la duchesse, sa femme, précisément le jour même où l’armée française repassait l’Escaut, que je suis perpétuellement dans la crainte qu’il ne dure si longtemps et par conséquent ne consume tant de munitions que nous ne pourrons pas en venir à bout… De toutes mes campagnes, celle-ci aura été la plus pénible, mais je suis dans la galère, et il faut que je rame jusqu’au bout[2]. » Et, quelques jours après, il lui écrivait encore : « Ce serait une cruelle chose, si, après avoir forcé l’ennemi à renoncer à une attaque de vive force et à repasser l’Escaut, nous manquions à prendre la ville par l’ignorance de nos ingénieurs et le manque de munitions… Vous pouvez juger de mon désespoir à la pensée de ne pas terminer cette campagne comme nous étions en droit de le prévoir[3]. »

Pour mener à bien ce plan dont le succès inspirait tant d’appréhensions à Marlborough, plusieurs choses étaient nécessaires. Il fallait d’abord rétablir la discipline dans l’armée. Les divisions entre les chefs, connues de tous, l’avaient profondément ébranlée. On se divisait et se disputait ouvertement entre Vendomistes et Bourguignons. Les officiers n’obéissaient plus. Il était nécessaire de faire des exemples, et, jusque-là, le Duc de Bourgogne, toujours bon et humain, y avait répugné. « J’ay supplié en particulier Madame la Duchesse de Bourgogne, lui écrivait Chamillart, de demander à Monseigneur d’estre un peu plus méchant qu’il

  1. Dépôt de la Guerre, 2 083. Vendôme à Chamillart, 20 sept. 1708.
  2. Coxe, Memoirs of the duke of Marlborough, t. IV, p. 236.
  3. Ibid., p. 238.