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vraisemblablement encore, bien que les attributions des administrateurs aient été transférées aux juges de paix. D’ailleurs, il n’en peut guère être autrement : l’indigène est d’une patience et d’une ténacité à toute épreuve, pour la moindre contravention il amène des témoins, proteste, parle et les fait parler pendant des heures entières ; l’administrateur interrompt ce verbiage et prononce de manière à perdre le moins de temps possible. N’existe-t-il pas, au tribunal de la Seine, certaines chambres où tout se passe exactement de la même manière sans soulever les mêmes récriminations ? et pourtant ce sont bel et bien des affaires entre citoyens français qu’on y expédie si rapidement.

En matière civile, lors de notre établissement en Algérie, la juridiction sur les indigènes avait été laissée aux autorités existantes : pour les Israélites le tribunal rabbinique, pour les Musulmans la mahakma du cadi et, dans certains cas, la djema du douar. Quelle était la valeur de cette organisation ? Il est assez facile de s’en rendre compte. En Kabylie, les querelles de sois rendaient problématique l’impartialité de la djema ; quant à la probité des cadis, elle était connue : chaque parti commençait par leur faire un don et c’était là l’un des meilleurs argumens du plaideur. Dans certaines périodes, les plaintes affluaient au Parquet général, et on a vu prononcer jusqu’à 40 ou 50 révocations de cadis dans une année. Un décret de 1866 avait déjà tenté d’améliorer la situation en permettant aux indigènes de porter leurs différends devant l’autorité française. C’était là une excellente mesure et qui n’avait rien d’irréalisable, puisque auprès des tribunaux et de la Cour d’Alger se trouvaient alors des assesseurs musulmans qui depuis ont presque disparu. On pouvait ainsi espérer arriver à un rapprochement entre Français et indigènes, car un peuple ne rompt pas brusquement avec des traditions séculaires pour adopter de nouveaux usages. D’ailleurs, pour l’Arabe, le cadi n’est pas seulement un juge, il est investi d’une sorte de caractère religieux qui lui donne un prestige particulier dont nos magistrats sont dépourvus à ses yeux. Chez le Kabyle, la législation repose bien moins sur le Coran que sur certains kanouns, vestiges d’une loi civile dont ils ont conservé le nom ; la djema est l’institution capitale, l’organisme essentiel de la vie du douar ; et c’était une faute de la dessaisir absolument au profit de nos juges de paix, ainsi que l’a fait le décret du 27 août 1874. Il fallait procéder, non point par