Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/937

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
931
REVUE LITTÉRAIRE.

impression, et se soucie moins de nous instruire des faits eux-mêmes que de nous faire confidence des émotions qu’il éprouve en les revivant pour son compte.

Mais qui ne voit que cette façon de traiter l’histoire est en effet celle qui a prévalu pendant le siècle dernier ? C’est de l’époque de la Révolution que date chez nous la popularité de Tacite. Mme Roland oublie pour lui Plutarque même. C’est sans doute qu’elle trouve une frappante analogie entre les scènes que décrit l’historien et celles que la réalité contemporaine lui met sous les yeux. De Sainte-Pélagie où elle est enfermée, un mois juste avant de monter à l’échafaud, elle écrit : « J’ai pris pour Tacite une sorte de passion ; je le relis pour la quatrième fois de ma vie avec un goût tout nouveau. Je le saurai par cœur ; je ne puis me coucher sans en avoir savouré quelques pages. » Il est clair que la Terreur donnait de certaines pages de Tacite le commentaire le plus élégant. Mais d’ailleurs Mme Roland a déjà l’âme toute romantique : elle devine et elle annonce le lyrisme de demain. Chateaubriand décide de la faveur nouvelle qui va s’attacher au nom de l’historien en lançant le fameux article : « C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’Empire. » Chateaubriand se représentait l’ennemi des Césars comme un républicain, et ce n’est donc pas une communauté d’idéal politique qui l’a mené à Tacite ; mais ce sont des affinités littéraires. Lui aussi il est toute imagination et sensibilité. Il est peintre. Il introduit dans notre littérature l’usage de la prose poétique. Or l’école qui est sortie de son œuvre allait déterminer tout à la fois le renouvellement du lyrisme et celui de l’histoire.

Ce sont les romantiques en effet qui nous ont rendu le goût de l’histoire ; et jamais écrivains n’ont été plus incapables de sortir d’eux-mêmes ; dans leurs romans et dans leurs drames, ils ont bien pu évoquer le décor d’époques disparues ; mais ce sont leurs passions, leurs façons de sentir et de penser qu’ils ont prêtées aux personnages dont ils n’ont su faire que leurs porte-parole. Ce qui est vrai des romanciers, des dramatistes et des poètes, l’est encore des historiens proprement dits. L’histoire chez Augustin Thierry a ce double caractère, que d’abord l’historien y cherche un moyen d’expliquer le présent par le passé, et qu’ensuite, il lui demande la matière de tableaux pittoresques. Michelet est tout lyrique. Ce qui rend son œuvre si dramatique et si émouvante, c’est qu’en effet il y assiste comme à un drame, et qu’on y trouve à chaque page l’écho d’une sensibilité souffrante. Le siècle s’avance, les méthodes se modifient, la science fait