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Bref, force serait de reconnaître, en ces congrégations, le grand instrument d’expansion de la France et du français.

Cette prédominance des congréganistes sur les laïques, dans nos écoles du dehors, est telle, que supprimer les premiers équivaudrait pratiquement à supprimer, sinon l’enseignement du français, qui est parfois donné par des étrangers et par des adversaires de la France, du moins les écoles et les collèges français[1]. La chose est si claire que, pour parer à ce danger, certains de nos compatriotes songent à augmenter le nombre de nos écoles laïques. De là est née récemment la « Mission laïque française, » œuvre qui se propose de former des instituteurs pour nos colonies et pour l’étranger. Parmi les fondateurs ou les patrons de cette œuvre nouvelle, se rencontrent des hommes tels que MM. Léon Bourgeois, Henri Brisson, Ferdinand Buisson, Jaurès, Aulard. De pareils noms en disent assez l’esprit, et l’on ne saurait s’étonner qu’elle ait obtenu toutes les adhésions et tous les encouragemens officiels qu’elle pouvait ambitionner.

Le champ d’action de l’école française est si vaste, la lutte entre les diverses langues est si vive, que nous ne saurions jamais avoir trop d’écoles ni trop d’instituteurs au dehors. Il y a place pour tous : laïques et congréganistes peuvent servir la même cause par une noble émulation. Dans les pays ou dans les milieux dominés par le fanatisme musulman, au Maroc, par exemple, ou encore dans les grandes villes ou les grands ports de l’Orient ou de l’Extrême-Orient, les écoles laïques peuvent rendre d’incontestables services et attirer une couche de population qui échappe aux écoles congréganistes. La Mission laïque française peut ainsi bien mériter de la France, mais à une condition : c’est qu’elle ne soit pas animée d’un esprit de secte ; c’est qu’elle ne s’inspire que des grands intérêts de la France et de la civilisation ; c’est, en un mot, qu’elle ne fasse pas œuvre de division. Autrement, si elle prétend élever école contre école, si, oublieuse des origines communes, elle s’obstine à vouloir transporter au dehors nos querelles et nos discordes intérieures, la Mission laïque, nous sommes contraints de le lui dire, n’accomplira

  1. Il ne faut pas oublier, en effet, qu’il s’agit ici de l’enseignement secondaire aussi bien que de l’enseignement primaire. En Orient, au Canada et dans l’Amérique du Sud, notamment, nombreux sont les collèges fondés et dirigés par nos congrégations. Au Brésil, par exemple, le dernier Bulletin de l’Alliance française (15 janvier 1903, p. 35) constate que les Maristes, congrégation non autorisée, possèdent dix collèges où le français est partout enseigné.