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radicale et libre-penseuse, qui, en octobre 1860, éveilla l’attention du public, en faisant de ce livre un compte rendu élogieux, et en se félicitant que des clergymen importans en fussent venus à partager ses propres vues. Ainsi averti, le monde ecclésiastique s’émut. Wilberforce, évêque d’Oxford, prit la tête du mouvement, dénonça ce livre dans son mandement d’automne, et publia peu après, dans le Quarterly, un article plus véhément encore, où il concluait que les auteurs des Essays « ne pouvaient, avec honnêteté morale, conserver leur position de clergymen de l’Eglise établie. » Dès lors, l’agitation grandit rapidement dans les Universités et dans les presbytères. L’ignorance où l’on était resté jusqu’alors des questions de critique, l’idée que, dans l’anglicanisme, on était habitué à se faire de la Bible, rendaient les hommes religieux plus sensibles encore à des attaques qui paraissaient tenir du sacrilège, et qui, venant de dignitaires de l’Eglise, avaient une couleur de trahison. Ce fut partout une explosion de colère et d’effroi, pareille à celle qu’avait soulevée, dix ans auparavant, le rétablissement de la hiérarchie romaine en Angleterre.

Les anciens tractariens étaient parmi les plus émus. Pusey croyait son Eglise en face d’un immense péril, par la défection de ceux-là même qui eussent dû la servir et la défendre. Comme il l’écrivait alors, il lui semblait que « les moutons étaient en risque d’être détruits par les bergers. » Et il ajoutait, dans une lettre à Keble : « Je ne me suis jamais senti aussi abattu que maintenant. » Son activité, néanmoins, était extrême ; il multipliait les démarches, écrivait aux uns et aux autres, soutenait des polémiques dans les journaux, enfin abordait, comme professeur, dans sa chaire d’hébreu, comme prédicateur, devant l’Université, les questions de doctrine ou d’exégèse sur lesquelles il lui paraissait nécessaire de réfuter les Essays and Reviews. A la différence de ce qui s’était passé en d’autres crises, le Low church et le High church étaient cette fois d’accord et faisaient émulation d’ardeur passionnée. Lord Shaftesbury n’était pas moins animé que Pusey. Le Record, organe des evangelicals, l’emportait en véhémence sur le Guardian, organe des tractariens. Des adresses, signées de milliers de clergymen, mettaient en demeure les évêques de faire acte d’autorité et de frapper les fameux « Sept, » ceux qu’on appelait Septem contra Christum. Rares étaient ceux qui gardaient leur sang-froid. De ce petit nombre,