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De tous les maux conjurés contre son âme, aucun ne put la briser ou seulement la fléchir. Le plus grand des héros qu’il avait chantés le trahit, et, sur la symphonie inspirée par le Premier Consul, on sait qu’il effaça le nom de l’Empereur. Mais le héros qu’il était lui-même, celui-là du moins lui demeura fidèle. Dans ses discours, dans ses lettres, et dans sa musique surtout, retentit le continuel écho de ses combats et de ses victoires. On ne cite guère de Beethoven que des mots sublimes, et qui le sont tantôt de résignation, tantôt de résistance et de révolte. « Soumission, soumission profonde à ton destin. Tu ne peux plus exister pour toi, mais seulement pour les autres ; pour toi, il n’y a plus de bonheur que dans ton art. O Dieu, donne-moi la force de me vaincre ! » Ailleurs, dans une sorte de transport sauvage, il s’écrie : « Je veux saisir le destin à la gueule. Il ne réussira pas à me courber tout à fait. Oh ! cela est si beau de vivre la vie mille fois ! » Plus calme, il écrivait encore à Thérèse de Brunswick : « Je suis heureux toutes les fois que je surmonte quelque chose, » et voilà peut-être la vraie définition de son âme et de son génie.

Pour le concerto en mi bémol, on ne trouverait pas non plus de meilleure épigraphe. Mais, tandis que d’autres chefs-d’œuvre nous font assister d’abord à la lutte, nous ne sommes témoins en celui-ci que du triomphe. D’un bout à l’autre du poème grandiose, Beethoven est victorieux ; il a tout surmonté, pour jamais.

L’adagio, l’un des plus augustes qu’il ait écrits, cet adagio surtout ignore le trouble et l’effort. Le thème est sublime de calme, d’un calme héroïque d’abord, que les batteries hautes du piano, frémissant autour de lui comme des ailes, font ensuite angélique et même divin. A peine si, derrière les dégradations chromatiques et lentes de la fin, on devine un regard de mélancolie et « les doux yeux du maître avec leur douleur poignante[1]. » C’est une impression fugitive. La sublime méditation possède et verse en nous la paix. Elle est une des merveilles du sentiment ou de l’éthos apollinien.

En puissance dans ce morceau, l’héroïsme est en acte dans les deux autres. La symphonie héroïque elle-même, qui commence avec autant de fermeté que le premier allegro, n’éclate pas avec autant de fougue, de fantaisie et de splendeur. Le thème, ici, l’emporte peut-être encore en énergie ; le triolet qui le fouette lui donne plus d’élan, et la mesure à quatre temps plus de largeur.

Héroïque est le développement de l’idée non moins que l’idée

  1. Le mot est de Rellstab, après avoir vu Beethoven en 1825.