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l’État, dont il n’avait pas eu l’intention. L’excuse ne parut qu’ingénieuse, car l’image injurieuse était bien grosse pour une si petite chose que le Constitutionnel. Le public l’avait appliquée tout d’une voix à l’Empereur, et je me rappelle encore l’applaudissement avec lequel on la répétait ainsi comprise dans les milieux anti-dynastiques. Du reste, aucun journal ne voulut reproduire l’explication de Paradol.

Cependant les ministres se rendaient compte que les interdictions sénatoriales, de même que les avertissemens et suspensions de journaux, ne suffiraient pas à rendre à l’Empire le prestige que, de leur propre aveu, il venait de perdre. Un acte éclatant, qui frappât l’imagination des peuples, leur parut nécessaire. Ils reprirent alors cette thèse des compensations, jusque-là discrètement entremêlée aux encouragemens donnés à la Prusse. Que dirait l’opposition si on pouvait lui répondre comme après la guerre d’Italie : « Sans doute il y a une Prusse plus puissante, mais aussi il y aura une France plus étendue, et l’équilibre des forces sera ainsi maintenu ? » La cession et la transmission de la Vénétie avaient déjà eu un air de grandeur et de pleine puissance ; une extension sérieuse de notre frontière du Rhin aurait quelque chose de triomphal.

L’unanimité se fit dans le monde officiel sur cette donnée. La Valette, Rouher et leur parti ne pensèrent pas autrement que Drouyn de Lhuys ; l’Impératrice parlait comme eux ; Magne, le prudent Magne lui-même, qui n’avait rien d’un foudre de guerre, avait embouché la trompette des compensations : il lui en fallait ; sinon, il se sentirait humilié ! « Le sentiment national serait profondément blessé, si, en fin de compte, la France n’avait obtenu de son intervention que d’avoir attaché à ses flancs deux voisins dangereux par leur puissance démesurément accrue[1]. » Le prince Napoléon, qui expliquait fort bien à l’Empereur que toute intervention serait une violation du principe des nationalités, n’en concluait pas moins à la nécessité d’une compensation : il se contentait d’une très petite, mais il en voulait une (7 à 800 000 âmes environ)[2].

Tous étaient d’accord pour ne pas avoir recours à une guerre. Seuls, Drouyn de Lhuys et Randon pensaient que nos revendications n’auraient aucune chance d’être accueillies, si elles

  1. Magne à l’Empereur, 20 juillet 1866.
  2. Prince Napoléon à l’Empereur, 14 juillet 1866.