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l’Irlande, depuis M. John Redmond et les plus modérés des nationalistes jusqu’à d’anciens fenians et au « père de la Ligue agraire, » M. Michaël Davitt. Est-ce à dire qu’elle représente le nationalisme « intégral » et qu’en dehors d’elle il n’y ait plus rien que des unionistes, disons des Anglais ? Ce serait sa prétention, mais, si l’on passe en revue les forces actives de la politique nationaliste en Irlande, on trouve, lui faisant opposition, à sa droite, l’essaim clairsemé des « opportunistes, » qui, sur la lisière du nationalisme, coquettent avec le gouvernement, et, à sa gauche, le petit noyau serré, intransigeant, des « séparatistes, » qui rêvent, avec Wolfe Tone et Mitchell, d’une Irlande indépendante et républicaine, et qui surtout méprisent l’action constitutionnelle, parlementaire, jeu inutile et dégradant, à leur sens, école d’esclavage et d’anglicisation.

Ce qui fit la force de la Ligue, c’est que du premier coup, aux élections générales de 1900, elle réussit à rétablir l’unité, en s’imposant à tout le monde, au sein de la députation nationaliste à Westminster, — à l’exclusion, il est vrai, du spirituel et caustique député de Louth, M. Healy, autour duquel s’est reconstitué récemment un petit groupe d’indépendans, adversaires de la Ligue, avec une étiquette cléricale. — C’était, dans l’ensemble, an résultat fort important, et dont l’Irlande sut gré à M. William O’Brien et à la Ligue. Au lieu des anciens partis usés et émiettés, il y a aujourd’hui à la Chambre des communes une phalange unie d’environ quatre-vingts députés irlandais nationalistes, libres de toute alliance avec les partis anglais, toujours sur la brèche et qui, notamment au cours de la guerre sud-africaine, ont constitué vraiment la seule opposition sérieuse et suivie à la majorité impérialiste. Il y a là des hommes d’un talent hors ligne et d’un haut caractère, comme M. John Dillon, comme M. John Redmond, le chef du parti, des hommes à qui l’Angleterre ne sait ou ne veut rendre justice ; il y a aussi bon nombre d’enfans terribles et d’enfans perdus qui n’aiment qu’à faire du tapage ou du scandale[1], et ce ne sont pas les occasions qui manquent, car, sitôt l’union faite dans le parti, on

  1. Obligée de payer dans beaucoup de cas une sorte d’indemnité à ses représentans dont le mandat est gratuit, par voie de cotisations au « fonds parlementaire, » l’Irlande n’est pas assez riche pour se permettre de ne confier sa cause qu’à des hommes d’expérience et d’instruction : c’est là un des argumens les plus forts pour le rétablissement d’une législature irlandaise à Dublin.