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question d’Irlande est de celles dont il n’aime pas la pensée, elle l’importune ou l’humilie : et puis, qu’est-ce après tout, dans un Empire de 200 millions d’âmes, que la bouderie ou les criailleries d’une poignée de 3 millions et quart de soi-disant « rebelles, » enfans gâtés, toujours mécontens de tout, indisciplinés et indisciplinables ? « Les Irlandais ne cherchent qu’à nous embêter, » disait naguère celui des députés libéraux anglais qui connaît le mieux la France, « comme les Polonais à embêter les Allemands. » — Le conservateur moyen, le lecteur du Times, si l’on veut, met dans son anticeltisme plus que du mépris ou de l’indifférence, et le raisonne davantage. Si l’Angleterre, dans un lointain passé dont il ne vaut rien de rappeler sans cesse le souvenir, a pu faire tort à l’Irlande, il y a longtemps que ce tort a été réparé par la justice et la générosité britanniques ; le malheur d’Erin n’est dû qu’à ses fautes, à son infériorité de race et de religion, aux vices originels d’un caractère fait d’inertie et d’hystérie : the Irish made themselves, selon l’heureuse formule du feu duc d’Argyll, les Irlandais se sont faits eux-mêmes ce qu’ils sont, ils n’ont que ce qu’ils méritent ! L’Irlande jouit d’ailleurs aujourd’hui de la liberté la plus complète (nulle autre puissance n’aurait osé lui en donner tant, mais l’Angleterre est si forte !…) ; elle est même prospère, — les dépôts dans les banques et les caisses d’épargne s’accumulent à n’en savoir que faire, — et, pour être tout à fait heureuse, elle n’a besoin que de calme, d’ordre et de tranquillité. Ceux qui font tout le mal à l’heure qu’il est, ce sont les politiciens et les agitateurs, dont le seul objet est d’entretenir les griefs de l’Irlande et qui se sont faits, avec le clergé catholique, les maîtres, les exploiteurs de toute cette masse ignorante et excitable. Ce qu’il faut à l’Irlande, c’est, comme l’a dit un jour lord Salisbury, « vingt ans d’un gouvernement résolu. » — Tout cela ne se résumerait-il pas assez exactement dans ces deux mots qu’à la Chambre des communes le Speaker adresse d’un ton sévère aux interrupteurs malencontreux Order, order ?

On devine quel toile d’indignation, quelle poussée de « celto-phobie » devaient provoquer, dans cette opinion conservatrice anglaise, — l’opinion de la majorité, — les démonstrations anti-britanniques de l’Irlande lors de la guerre sud-africaine, suivies de la reprise de l’agitation avec l’United Irish League. Pour le coup, c’en est trop ! pense-t-on. Quos ego !… Comment ! On