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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/462

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(Phinck et Gruggh), ont tiré tout le parti possible de rôles assez ternes.


La pièce de M. Anatole France que représente la Renaissance se compose de trois actes, très courts, très légers, d’une fantaisie tout à fait divertissante. C’est un spectacle frêle et ingénieux dont on regrette seulement qu’il soit comme écrasé par le cadre d’un grand théâtre. A notre avis, cette petite pièce, pour conserver toute sa grâce, devrait être jouée sur une scène minuscule par des acteurs en bois. Crainquebille est une pièce pour marionnettes.

Le père Crainquebille est un vieil homme de marchand ambulant. Depuis une quarantaine d’années, il pousse sa voiture dans les rues de Paris et vend aux ménagères du quartier des Halles ses choux et ses carottes. Un jour, pris dans un encombrement de voitures, il se trouve dans l’impossibilité de circuler, quoiqu’un agent lui en ait intimé l’ordre. L’agent verbalise. Crainquebille comparaît en police correctionnelle ; impressionné par l’appareil de notre justice, gêné par la politesse des juges qui n’emploient que des termes choisis, il ne trouve rien à dire pour sa défense, et se laisse condamner à quinze jours de prison pour injures aux agens. Au sortir de prison, le vieil homme devient un objet de mépris pour le quartier des Halles ; ses anciennes clientes se détournent avec horreur de ce réprouvé : par une déchéance rapide Crainquebille tombe dans l’ivrognerie et la fainéantise et roule dans un abîme de misère et de vice.

S’il n’y avait pas de « sergots » pour dresser des contraventions, les marchands ambulans ne seraient jamais en contravention. S’il n’y avait pas de juges pour réprimer les délits de la voie publique, les pauvres gens n’iraient pas en prison, et ne courraient pas le risque de s’y démoraliser. Car les vieux habitués des rues de Paris ont ceci d’admirable qu’ils conservent après quarante ans de pavé une adorable ingénuité et une âme d’enfant. Et ce peuple de Paris, à qui on ne rend pas assez justice, a des scrupules qui lui font le plus grand honneur. Intraitable sur la question de moralité, il n’achèterait pas une botte de radis à un maraîcher dont le casier judiciaire ne serait pas entièrement vierge… Tels sont les jeux faciles où s’amuse un esprit depuis longtemps passé maître dans l’ironie.

M. Guitry a été merveilleux de malice et de bonhomie dans le rôle de Crainquebille. C’est la perfection. Une forte part lui revient dans le succès de la pièce. Jamais encore il ne nous avait aussi complètement satisfait.