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cher Prince, et je ne doute pas qu’il n’en soit de même parmi vos amis et vos ennemis de l’Algérie. On est, maintenant, fixé sur la témérité que quelques vieux grognards reprochaient au coup de main du 15 mars. Un extrait du journal du Duc de Montpensier, que M. De La tour a fait insérer dans les Débats du 11, a surtout contribué à donner à ce fait d’armes son véritable caractère. Aujourd’hui, ou vous sait à la fois beaucoup de gré de la mesure avec laquelle vous avez raconté cet exploit, et de la vigueur avec laquelle vous l’avez dirigé. Seulement, tous ces éloges finissent par cette phrase qui semble stéréotypée : « Il ne faudrait pas recommencer cela souvent. » C’est précisément le mérite des choses extraordinaires et qui frappent l’esprit des hommes de ne pouvoir être recommencées souvent ; et on n’a pas besoin de recommander à un général d’armée, si on le suppose doué de sons commun, de ne pas exposer sans cesse, par un entraînement de courage puéril, sa vie et celle de ses soldats. Vous ne serez donc, j’en suis bien sûr, jamais téméraire que par nécessité, et alors la témérité est une grâce d’état, car elle sauve, au lieu de compromettre. Suivez en cela votre inspiration, qui, deux fois, vous a bien servi ; mais n’en abusez pas ; on n’a pas toujours la chance ; cela est vrai de la guerre comme du jeu ; aussi beaucoup de joueurs se ruinent, par excès de confiance dans la veine qui les a favorisés quelque temps, et beaucoup de généraux se sont perdus par idolâtrie pour leur étoile. Que la vôtre brille toujours dans la pure lumière de la raison, de l’humanité et du bon sens !


Paris, 16 mai 1844.

Le courrier d’Afrique vient de nous apporter vos lettres, mon cher Prince ; j’en trouve une pour moi, datée de Tabbagart[1] et je vous en remercie. J’étais bien impatient d’avoir

  1. Bivouac de Tabbagart, ce 30 avril 1844.
    « Nous venons d’avoir une assez chaude bagarre, mon cher ami ; je m’en suis tiré avec mon cheval blessé. Le brouillard nous a empêchés de profiter de tout le mal que nous avons fait à l’ennemi ; mais voici le temps beau, et nous allons-reprendre notre belle. Je vous souhaite de vous porter aussi bien que moi. Adieu ; vous savez que mon temps n’est pas à moi. Tout à vous,
    H. O. »
    Les états de services du Prince résument dans les termes suivans la série des opérations exécutées dans cette campagne de 1844 :
    « En 1844, dans les mois de février, mars, avril, mai, juin, il soumet et organise le Ziban et le Belezma (province de Constantine) ; combats du 15 mars à Méchounech (il sauve la vie au capitaine Espinasse) ; des 24 avril, 1er, 8 et 13 mai chez les Ouled Sulthan (a son cheval blessé par un Kabyle qui le tirait à bout portant et qu’il écarte d’un coup de sabre) ; occupe Biskra, et fonde Batna. En octobre, il quitte la province dans un état parfait de tranquillité. »
    M. le général Espinasse n’a jamais oublié le combat de Méchounech : lorsque, après l’attentat d’Orsini, il fut appelé, par l’Empereur, au ministère de la Sûreté générale, il ne mit, aux assurances de son dévouement, qu’une seule réserve, formulée en ces termes : « Toujours l’épée en bas devant le Duc d’Aumale. »