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fâché de tout ce qui est arrivé. Cependant vous me ferez plaisir de me mander tout ce qui se passera dans toute cette affaire-là. Si je le puis servir en quelque chose, mandez-le-moi[1]. » Ce qui domine partout, dans ces premiers instans, c’est la stupéfaction, l’ardente curiosité, l’empressement à savoir les détails et les causes. « Il y a deux jours que l’on est assez comme le jour de Mademoiselle et de Lauzun. On est dans une agitation, on envoie aux nouvelles, on va dans les maisons pour apprendre[2]… » On reconnaît la plume alerte de la marquise de Sévigné ; elle ajoute à ce vif croquis des considérations morales : « Voilà, ma fille, un grand sujet de réflexions. Songez à la fortune brillante de cet homme, à l’honneur qu’il avait eu de commander les armées du Roi, et le voilà ! Songez à ce que ce fut pour lui d’entendre fermer ces gros verrous ; et, s’il a dormi par excès d’abattement, songez au réveil ! On ne croit pas qu’il y ait du poison dans son affaire, mais tant d’autres sottises, qu’il ne peut jamais reparaître dans le monde après un tel malheur. »

Ces propos sont ceux de la Cour. L’émoi n’est guère moins grand dans la masse du public. « C’est la matière de tous les entretiens de Paris ; on ne parle d’autre chose, » témoigne le Père du Rosel[3]. Une comédie d’actualité, la Devineresse ou les Faux Enchantemens[4], qui se jouait dans la capitale depuis deux mois et plus, dut à ces circonstances un regain de succès. « La prison de M. De Luxembourg, dit un contemporain[5], a redoublé le désir du public de voir la comédie de la Devineresse ; et les comédiens furent obligés de renvoyer hier trois ou quatre cents personnes, pour n’avoir pas de quoi les placer. »

Si telle était l’effervescence parmi les simples spectateurs, que dire des parens, des amis, de toute la clientèle d’une si puissante maison ? La sœur du maréchal, Isabelle de Montmorency,

  1. Le grand Condé ne cessa de prendre le plus vif intérêt au procès de son parent. Il n’est presque pas de jour, les premiers mois, où l’on ne trouve quelque billet de lui à ce propos : la plupart se terminent par cette recommandation : « Brûlez mes lettres. » Il est heureux que cette injonction n’ait pas été obéie, car nous y eussions perdu une source précieuse d’informations sur cette singulière affaire.
  2. Lettre de Mme de Sévigné, du 26 janvier 1680.
  3. Lettre à Condé du 27 janvier. Archives de Chantilly.
  4. Pièce de Donneau de Visé et de Thomas Corneille, représentée pour la première fois par la troupe du Roi le 19 novembre 1679. Voir sur cette comédie le Drame des poisons, par M. Frantz Funck-Brentano, p. 295 et suivantes.
  5. M. Martin à Condé, 27 janv. 1680. Archives de Chantilly.