Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pousser bientôt Luxembourg sur son projet d’empoisonner du Pin[1].

Pour débrouiller ce dernier point, on comptait fort sur la Voisin, grande spécialiste en la matière, et sans les conseils de laquelle, dans toute la capitale, il ne se donnait pas une pincée d’arsenic. De semaine en semaine on avait remis son jugement, dans l’attente de révélations que l’on espérait décisives. Il fallait toutefois aboutir. Le 19 février, on lui appliqua la question, puis on l’interrogea pendant deux jours consécutifs. Les lettres de Condé témoignent que les amis du maréchal n’étaient pas sans quelque inquiétude sur ce qui sortirait de ces dépositions : « Mandez-moi, dit-il à Ricous[2], ce qui se sera passé dans le temps que la Voisin aura été sur la sellette, et si elle aura dit quelque chose contre M. De Luxembourg. » Mais rien encore ne vint de ce côté. La Voisin discourut beaucoup, chargea nombre de gens illustres, — dont le poète Racine, — mais elle ne souffla mot du duc de Luxembourg[3]. Même, pressée par les magistrats sur le compte de Montemayor, elle assura ne l’avoir jamais vu, et n’en avoir « ouï parler que comme d’un homme qui tirait des figures. » Le 22 février, elle fut brûlée en place de Grève, après avoir été promenée de Vincennes à Paris, vêtue de blanc, une torche dans la main, repoussant avec violence le confesseur et le crucifix, jurant et blasphémant jusqu’à sa dernière heure. Mme de Sévigné, avec force dames élégantes, fut voir passer la condamnée, et se divertit du spectacle : « Un juge, — écrit-elle à sa fille, — à qui mon fils disait l’autre jour que c’était une étrange chose de la faire brûler à petit feu, lui dit : « Ah ! Monsieur, il y a certains petits adoucissemens, à cause de la faiblesse du sexe. — Eh ! quoi, Monsieur, on les étrangle ? — Non, mais on leur jette des bûches sur la tête, et les garçons du bourreau leur arrachent la tête avec des crocs de fer. Vous voyez bien, ma fille, que cela n’est pas si terrible que l’on pesse. » Pas plus en montant au bûcher qu’au cours de la torture ou dans la funèbre

  1. « Je sais de très bonne part, écrit encore Condé, que M. De Luxembourg doit être interrogé sur le sujet du poison. Ainsi il ne faut pas se rassurer si tôt. » Lettre du 8 février à Ricous. Archives de Chantilly.
  2. 17 février 1680. Archives de Chantilly. « Si vous avez quelque chose de particulier à me faire savoir là-dessus, reprend-il deux jours plus tard, ne me l’écrivez pas par la poste, mais il sera bon de m’envoyer un exprès. »
  3. Interrogatoire des 19 et 20 février. Archives de la Bastille. — Nouvelles de Paris envoyées à Condé. Archives de Chantilly.