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exhortations, poussés sans doute aussi par l’amour-propre de métier et l’entêtement professionnel, les commissaires s’acharnaient à leur tâche. Il fallait, à tout prix, que le maréchal fût coupable. « On dit qu’on ne trouve pas grand’chose contre M. De Luxembourg, écrit Bussy-Rabutin, et cela fait qu’on le recherche depuis peu sur la concussion et la fausse monnaie ; car cela serait bien honteux à la Chambre d’en avoir le démenti. » Bussy, du fond de sa province, voyait clair et raisonnait juste. À défaut de poison, et la magie semblant bien difficilement saisissable, on se rabat sur des faits d’un autre ordre. On fouille dans le passé pour y découvrir des griefs : une taxe perçue indûment sur les habitans de Ligny, la séquestration arbitraire d’un bourgeois détenu au cachot pour n’avoir point voulu payer, la fausse monnaie surtout, qui fait l’objet d’une instruction spéciale et minutieuse. Dans une petite maison d’Arcueil, où l’on croit avoir vu jadis entrer le maréchal, la police a trouvé des instrumens suspects et « de la poudre métallique[1]. » On n’a d’ailleurs nul autre indice ; ajoutons même qu’on n’en aura jamais ; mais il n’en faut pas plus pour une inculpation nouvelle ; tous les limiers de La Reynie sont lancés sur cette piste, et battent activement les buissons. « Assurément, dit Ricous à Condé, on ne le ménagera sur rien, et d’une souris on lui fait un éléphant ! »

Tout cela ne laisse point d’alarmer la conscience de certains des juges de la Chambre. L’un d’eux, — dont on regrette de ne pas connaître le nom, — s’honore un jour par une protestation : « Notre commission est pour les poisons, dit-il à La Reynie ; d’où vient que nous écoutons autre chose ? » La Reynie fut surpris, et lui dit : « Monsieur, nous avons des ordres secrets. — Monsieur, dit l’autre, faites-nous-en une loi, et nous obéirons comme vous ; mais, n’ayant pas vos lumières, je crois parler selon la justice et la raison de dire ce que je dis[2]. » Le résultat de cette réclamation fut que Louvois fit donner à la Chambre une « ampliation de pouvoirs » pour connaître des impiétés, des avortemens et de la fausse monnaie. « Voilà de quoi la perpétuer 1 » observe avec raison Feuquières.

  1. Interrogatoire du 2 mars. Archives de la Bastille. — Lettre de l’abbé de la Victoire, du 9 mars. Archives de Chantilly. — Lettres de Bussy-Rabutin.
  2. Lettre de Mme de Sévigné, du 14 février.