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Mais l’eau, même chez leurs peintres de marines, même chez Van de Velde et van Goyen, ne fut jamais leur sujet principal. Le sujet principal, chez les Hollandais, c’est le ciel. Les grands nuages échafaudés dans l’air limpide partant des basses lignes de l’horizon, puis passant par-dessus les arbres, par-dessus les clochers, par-dessus les mâts jusqu’à l’extrémité supérieure de la toile, tout baignés de lumière à leurs sommets et traînant leurs flancs dans l’ombre et l’ambre, voilà ce qui les a séduits dans le paysage de leur pays et voilà ce qu’ils ont étudié de façon à désespérer tous leurs successeurs. L’eau qui clapote au-dessous n’est qu’un repoussoir.

Notre grande école de paysage moderne elle-même n’a pas étudié la vie particulière des ondes mouvantes ou reflétantes. Elle s’en est tenue à l’aspect horizontal des surfaces liquides étendues sous les arbres ou sous le soleil. Regardez dans la salle Thomy-Thierry, au Louvre, les admirables exemples de l’art de Rousseau, de Dupré, de Daubigny. Il n’y a pas là une étude d’eau courante, sauf l’Inondation de Huet. Ces maîtres ont peint admirablement au fond de leurs paysages les lignes horizontales de l’étang ou de la mer : il ne se sont pas penchés sur le bord. Ils ont tous cherché la construction du paysage, et il est difficile de construire un paysage d’arbres, de montagnes, ou de plantes et de moissons, si l’on se penche sur l’eau, pour en surprendre toutes les physionomies. L’eau était pour eux une ligne d’horizon, une finale, un accord tenu à la fin des harmonies du paysage : elle n’était pas elle-même une symphonie. Tel l’inoubliable Marais dans les Landes, de Rousseau, à la salle des États au Louvre, ou, à la salle Thomy-Thierry, son Matin. Même après l’école de Barbizon, il y avait encore tout un domaine du paysage à découvrir et toute une science à fonder.

Cette science est extrêmement difficile. L’eau n’est pas seulement un miroir, c’est un être vivant. Elle ne fait pas que répéter : elle interprète, elle transpose, elle transforme parfois les figures ou les monumens qui se tiennent sur ses bords, les grandissant et les détaillant comme un acteur détaille une tirade, ou bien en omettant tout bonnement un morceau, les défigurant au gré de ses colères ou les assouplissant au gré de ses alanguissemens, mêlant à la substance de l’objet reflété quelque chose de sa propre substance et à son immobilité quelque chose de son propre mouvement. Elle efface et elle transfigure : elle éteint et elle