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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/686

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l’eau était parfaitement limpide comme un miroir, sans doute, les objets placés entre le soleil et sa surface n’y projetteraient point d’ombre. Un miroir ne reçoit pas d’ombre. Comme une âme pure, il ignore ce que les choses projettent de sombre autour d’elles. Mettez un objet opaque entre votre fenêtre et une feuille de papier blanc placée horizontalement. Cette feuille recevra une ombre portée. A la place du papier posez un miroir : l’ombre portée aura disparu. L’objet interposé aura perdu son ombre. Mais l’eau est loin d’être toujours agencée comme un miroir et il arrive souvent qu’assez calme et limpide pour refléter les objets proches, elle soit cependant assez trouble et colorée pour recevoir une ombre. Il peut même y avoir, à la fois, ombre et reflet projetés par le même objet, comme cela se voit souvent sous une barque au soleil. Et si l’eau reçoit et charrie des ombres, il faut les montrer.

Il faudra donc la montrer diverse, changeante comme une âme humaine, tantôt bouleversant les images que la terre et le ciel lui confient, tantôt calme, confiante, répétant docilement toutes les formes des nuages, des boulingrins, des statues posées sur ses bords, laissant traîner des herbes à sa surface, portant les plantes qu’elle nourrit comme une bonne mère, ou bien, à Venise, égrenant chaque pierre d’un palais, reflet par reflet, comme un joaillier fait glisser, une à une, les perles d’un collier précieux pour les faire mieux valoir : ou encore, sa fantaisie aidant, laissant des cygnes blancs flotter sur les nuages noirs qu’elle reflète ou des gondoles s’insinuer parmi les fenêtres et les balcons des monumens qu’elle renverse dans son miroir. Telle est la tâche du paysagiste moderne.


III


L’a-t-il remplie ? Une simple visite aux Salons de 1903 suffit pour en juger. Deux toiles, au moins, la Péniche et Marée basse de M. Thaulow apparaissent comme ce qui a été jusqu’ici, dans ce domaine, le plus parfaitement réalisé. L’une représente les remous de l’eau trouble et maculée dans un coin de canal, au confluent de la mer, l’autre un canal de Flandre, en pleine campagne sous le ciel bleu. Une péniche y passe, une rangée d’arbres penchés par le vent s’y reflète, la surface de l’eau s’y moire sous le souffle de l’air, et aux endroits où elle perd sa limpidité,