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aurait pu continuer à préparer la boisson verte de cette façon. — La seconde manière consiste à procéder en deux temps ; le distillateur tire d’abord des sommités et des graines les essences qui y sont contenues, puis il les livre au fabricant qui les mélange à l’alcool. C’est ce procédé rapide, d’ailleurs tout à fait équivalent à l’autre, qui eût été interdit.

Voilà à quoi se réduisait cette pompeuse réforme ! Et pour qu’on n’en doute point, il suffit de relire la séance du Sénat du 26 décembre 1900. « Vous n’interdirez, dit M. De Lamarzelle, que les poudres et les essences ? — Nous n’interdirons exclusive-* ment que les essences, répond le ministre. » Et l’instructif dialogue continue. « Alors, si l’Académie de médecine déclare que telle absinthe ou tel amer constitue un véritable poison, vous ne les interdirez pas ? — Nullement, dit le ministre. » Et deux jours plus tard, à la Chambre, comme l’un des députés qui avaient proposé et fait adopter l’article 13, déclarait qu’il ne devait pas y avoir de malentendu, que ce qu’il s’agissait de gêner et d’interdire, c’étaient bien les boissons elles-mêmes et non point les essences, le ministre des Finances déclarait s’en tenir au texte délibéré et voté. « C’est ce texte que j’appliquerai. » En d’autres termes, on ne touchera pas aux boissons, mais uniquement aux essences, à l’état d’essences[1].

Il est donc permis de dire qu’avant d’échouer devant l’Académie, la prétendue réforme était déjà annihilée, décapitée. Et ce nouvel exemple, après beaucoup d’autres, montre qu’il n’y a donc à peu près rien à attendre de l’État pour la limitation de l’alcoolisme. Le principal souci de l’État, c’est le souci financier. L’État ne peut pas souhaiter que l’on boive moins d’alcool ou qu’on le boive moins fort. Le président du syndicat des distillateurs d’essences, M. L. Pillet, a cité un exemple bien instructif de cette tendance fatale. Lorsque, en 1899, la taxe municipale sur l’alcool fut augmentée de 80 francs par hectolitre, les distillateurs réduisirent le degré alcoolique des liqueurs afin de n’en point augmenter le prix. Mais l’administration qui percevait sur le degré et non sur le volume ne l’entendit pas ainsi ; elle

  1. Il faut noter, en outre, qu’une loi a déjà rangé l’absinthe parmi les substances vénéneuses et en a réglementé l’usage. Mais elle est restée à l’état de lettre morte. C’est la loi du 26 mars 1872. L’article 4 dispose que « la préparation concentrée connue sous le nom d’essence d’absinthe ne sera plus fabriquée et vendue qu’à titre de substance médicamenteuse. »