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branle pour les cérémonies religieuses, obtinrent le plein succès des grenadiers de Bonaparte, et dans lequel les « anti-sonneurs, » qui représentaient le parti de la tracasserie légale, finirent par se terrer à la façon des Cinq-Cents. Et tandis que les cloches des lieux publics de culte faisaient plus de bruit que les anciens Jacobins ne l’eussent souhaité, on assistait, d’autre part, à la multiplication des oratoires privés : les prêtres qui n’étaient pas tout à fait en règle avec le Code y célébraient la messe sous la protection de la tolérance qu’accordait le Premier Consul et des libertés supplémentaires que les populations s’accordaient elles-mêmes ; le réveil religieux allait croissant. Les chrétientés ressuscitées avaient des allures de sauvageonnes : les évêques, au loin, en demeuraient surpris ; les préfets, tout près, en étaient troublés. Bonaparte sentit qu’il fallait organiser ce réveil, et le Concordat se prépara.

L’épiscopat et le peuple, pendant de longues années, avaient été trop éloignés l’un de l’autre pour se pouvoir entendre, et dès lors pour s’écouter : de là à se méconnaître, il n’y avait qu’un pas. Aussi le Pape et le Premier Consul firent-ils de l’Église de France une table rase ; et, sur cette table rase, ils réédifièrent. Un certain nombre d’évêques durent faire le douloureux sacrifice de se démettre de leur office, de rendre leurs églises veuves. Déracinés de leur temps par le malheur même des temps, ils n’avaient plus rien à faire qu’à prier, comme de petits enfans, pour une Église dont ils ne comprenaient plus la vie nouvelle. Ils avaient enseigné jadis à leurs ouailles que cette Église était immortelle, et l’événement les justifiait avec une éloquence cruelle pour eux-mêmes. Car ils la voyaient vivre, ils la voyaient surtout vouloir vivre, alors que partout ailleurs, autour d’eux et même en eux, tout leur semblait mort.


GEORGES GOYAU.