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C’est, à vos pieds, la ville s’étendant au loin avec ses maisons serrées les unes contre les autres dont on ne voit que les toits, et ses rivières couvertes de jonques que traversent d’étroits ponts de pierre. Plus loin c’est le fleuve avec des embarcations à vapeur qui fument et quelques établissemens européens aux hautes cheminées d’usine. Plus loin encore, c’est un cirque magnifique de montagnes abruptes derrière lesquelles on en découvre d’autres plus élevées et plus sombres. Sommets aigus qui se perdent dans les nuages ou gros flancs gris aperçus seulement par instans, très haut, dans une éclaircie de brume. La pluie tombe fine et froide, chassée par une tempête qui souffle en rafales. Au-dessous de nous, tout autour de nous, comme derrière cet horizon sauvage, c’est la Chine mystérieuse et hostile, incompréhensible pour l’étranger, avec ses vieilles coutumes, ses vieux préjugés, ses vieux souvenirs, ses vieilles haines. Et, de la ville immense que nous dominons jusqu’au sommet de la pagode sainte, monte une rumeur vague et puissante faite de milliers de voix qui hurlent.

A peu près à mi-chemin entre l’arsenal et Fou-Tchéou, se dresse, au bord de la rivière, une montagne sur le sommet de laquelle est situé un monastère. On traverse d’abord des villages entourés de belles cultures. Sur le pas des portes tout le monde nous regarde passer avec curiosité, hommes, femmes, enfans, animaux. Puis le chemin s’élève à travers une forêt de pins. L’ascension, rai de mais facile, se fait par une bonne route en escaliers dallés de pierre. Au bout de deux heures on arrive au Couvent. A chaque tournant du chemin la vue se montre de plus en plus belle à travers les arbres, s’étendant tantôt vers l’embouchure de la rivière, tantôt vers la ville de Fou-Tchéou. Le panorama de montagnes s’élargit en même temps, montrant au second ou au troisième plan de hautes chaînes et des cimes insoupçonnées. Parfois, au bord du chemin, un kiosque de pierre contient quelque statue du Bouddha chinois, doré, barbu, ventru, grotesque et bon vivant, comme il convient au Dieu d’un peuple qui en réalité n’en possède point. Un bonze se précipite, joint ses mains en faisant « chim-chim, » nous offre une tasse de thé dans un petit bol et couvre nos chapeaux de fleurs qui sentent bon.

Le couvent, — bien entretenu, — occupe d’importans bâtimens dans une gorge de la montagne. Partout des parterres, des pièces d’eau où jouent les poissons sacrés, des sources jaillissantes et