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D’ailleurs, ce n’est pas la seule, ni même la plus grave objection qui atteigne cette troisième hypothèse de Darwin. Le principal reproche qu’on doive lui adresser, c’est précisément de faire sortir le changement considérable qui crée une espèce nouvelle d’une trop lente accumulation de changemens insensibles. Les darwinistes, lorsqu’on les serre de près, demandent du temps, beaucoup de temps, trop de temps. Des séries indéfinies de générations leur sont nécessaires pour faire la moindre espèce nouvelle. Leurs adversaires leur ont reproché d’avoir beaucoup trop vieilli notre globe ; et c’est aussi l’avis de lord Kelvin.

En réalité, il faut moins de délais que cela pour la création d’une espèce nouvelle. C’est ce que prétend précisément H. De Vries. Il nie la transformation graduelle des espèces par addition de variations insensibles ; ou, du moins, il affirme leur production par un processus rapide, précipité, subit. Les espèces nouvelles dont il a observé la création sont nées brusquement, en quelque sorte explosivement. C’est ce que le naturaliste hollandais appelle « le progrès spasmodique. »


II


L’idée maîtresse de la doctrine de H. De Vries, c’est la mutation brusque des formes vivantes. L’éminent naturaliste ne la pose pas a priori ; il la tire de ses expériences, et il ne craint pas de l’opposer nettement au préjugé, universellement répandu, de l’action des causes lentes. La géologie a été ballottée, dans le cours du xixe siècle, des cataclysmes de Cuvier et de ses révolutions du globe aux causes lentes et à l’évolution graduelle de Ch. Lyell ; et voici qu’elle est ramenée, avec Suess, aux transformations brusques. Il est intéressant de noter qu’un mouvement analogue se dessine en biologie ; la tentative de De Vries en est une manifestation.

Un grand nombre de zoologistes, de botanistes et de paléontologistes inclinent à adopter cette notion des changemens brusques, comme résumant l’enseignement de l’expérience. On peut citer, à cet égard, l’argument bien connu d’Agassiz. Le célèbre naturaliste avait attiré l’attention sur l’apparition simultanée, dès les premiers terrains fossilifères, d’une faune mixte comprenant des représentans de tous les embranchemens du règne animal. Cela se vérifie à partir du Silurien supérieur ou du terrain dévonien, dans lequel les vertébrés font leur apparition, sous la forme de poissons. Dans la faune la plus an-