Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un monticule, un évêque procède à la bénédiction des drapeaux. Quelques instans après, quand les figurans, ivres d’héroïque fureur, passent devant les fenêtres de Faust, celui-ci détourne d’eux son regard et, prenant dans ses mains un crâne, il le considère longuement. Cela produit un contraste pathétique, et sur l’horreur de la guerre, sur la vie et sur la mort, le philosophe-moraliste qu’est M. Gunsbourg nous a donné là de grandes et terribles leçons.

Voilà pour la « Gloire, » ainsi que la nouvelle partition intitule le premier acte. Le second, « la Foi, » n’a pas été mieux compris. Quelle erreur encore, aussi fatale à la poésie qu’à la musique, d’avoir fait visible, visible de tout près, dans le décor brusquement apparu d’une église qui se combine étrangement avec le cabinet de Faust, l’adorable épisode du matin et des hymnes de Pâques ! Attendrissant au concert par l’éloignement et par le mystère, il prend à la scène une dureté voyante, criarde, et dont l’œil, autant que l’oreille, est blessé.

Que dirons-nous du menuet des follets et de la pantomime extraordinaire qui se joue, pour l’accompagner, entre Méphistophélès et Marguerite, voire deux Marguerites, qu’on nous montre à la fois : l’une endormie dans sa chambre ; l’autre, sur le parvis de l’église, éveillée, agitée, chancelante et ne sachant que choisir de l’amour ou de la vertu, de Satan ou de Dieu.

Il est inutile de suivre jusqu’à la fin l’opération absurde et sacrilège. La fin, qui dépasse tout le reste, c’est la « course à l’abîme, » où de l’abîme ni de la course rien ne fut et ne pouvait être rendu ; c’est un passage ininterrompu (les cavaliers demeurant dans la coulisse) de cartonnages découpés et grotesques ; c’est une gouttière dégorgeant sur le devant du théâtre une averse assez bruyante pour couvrir le fracas, formidable pourtant, de la fantastique chevauchée ; en un mot c’est le matériel, ou la matière, et la plus grossière, la plus hideuse, écrasant la pensée et le génie, c’est le dernier outrage à l’idéal et le suprême attentat contre la beauté.

Aussi bien il faut condamner ici, plus encore qu’un entrepreneur, une entreprise insensée et coupable en soi. Toute adaptation théâtrale, fût-elle plus adroite et moins vulgaire, de la Damnation de Faust, par le fait ou la nature même, lyrique, pittoresque, mais nullement dramatique du chef-d’œuvre, n’en sera jamais que la caricature et la profanation. L’action, — et cela s’est bien vu, — l’action est justement ce que dans le poème de Goethe Berlioz a négligé le plus, ou peut-être le moins compris. Les pages de passion et d’amour : l’air de Faust (Salut, doux crépuscule ! ) et le duo de Faust et de Marguerite, qui