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l’intelligence, de la recherche et de l’originalité ; beaucoup d’art en un mot, et peut-être non moins d’artifice : j’entends certains moyens dont on aurait souhaité que le goût, ou le style, fût plus pur.

Admirables d’entrain et ridicules d’accent dans la scène de la taverne, les chœurs ont montré généralement plus de puissance que de douceur. Et pourtant l’interversion matérielle des élémens ou des masses (les chœurs placés derrière l’orchestre et non plus, comme au concert, devant) a plus d’une fois produit le renversement des proportions sonores et l’excès du fracas instrumental.

Quant à M. Colonne, qui fit naguère la gloire de la Damnation de Faust, pourquoi faut-il qu’il ait dû, non certes participer, mais seulement assister à sa ruine ! On l’a plaint d’être à la peine, lui qui fut à l’honneur. Il est vrai que sans lui le mal eût encore été plus grand. Et puis la peine passe, elle est déjà passée, tandis que l’honneur durera.


Si la beauté, si la vie même d’un chef-d’œuvre a souffert, s’il nous faut maintenant la rétablir et la recréer en nous, il est d’autres chefs-d’œuvre qu’avec un éclat étonnant, une artiste hier à peine connue, acclamée aujourd’hui, vient de ranimer et de rajeunir. Deux fois, au Nouveau-Théâtre et salle Pleyel, accompagnée par l’incomparable orchestre qu’est le piano de M. Edouard Risler, une cantatrice allemande, Mme Mysz-Gmeiner, nous a fait entendre Schubert, Schumann, Liszt, Brahms et Strauss ; et par sa voix admirable de douceur et de force, de tendresse et de colère, de joie et de mélancolie, par sa voix et par son âme aussi, tout le génie de son pays et de sa race a chanté.

Oui vraiment le génie entier de l’Allemagne est compris et condensé dans ce genre national et parfait, dans cette « catégorie » de la beauté sonore qu’est le lied allemand. Il réunit en sa forme brève tous les élémens de la musique : la mélodie, l’harmonie et jusqu’à la symphonie elle-même. Le signe distinctif et la supériorité du lied sur l’aria d’Italie et sur la chanson française consiste dans l’accompagnement, ou, pour mieux dire, le piano prenant ici l’importance et l’intérêt de l’orchestre, dans l’instrumentation. C’est ce qu’a très bien aperçu naguère, un des premiers de son temps et de son pays, ce fin connaisseur en toutes choses, ce vieil et charmant écrivain, ce patriarche des lettres qui vient à peine de clore sa longue vie. Voici ce qu’il y a près de trois quarts de siècle, à propos des lieder de Schubert, introduits en France par Nourrit, écrivait M. Legouvé : « L’instrumentation n’est pas et ne peut pas être seulement destinée à soutenir la voix ; elle fait corps avec le chant ; elle est la moitié de l’œuvre de l’artiste ; elle