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les chartriers de l’Église d’Allemagne étaient révisés et déchirés à Paris, mais elle se consolait en acceptant elle-même une aumône sortable pour un de ses archiducs, maltraité jadis par la paix de Campo-Formio ; et les augustes Excellences de la députation d’Empire, figurans un peu ridicules, n’avaient plus qu’à courber leur morgue et leur pompe devant les décisions prises par le Premier Consul.

On les vit en février 1803, solennels et dociles greffiers, enregistrer, en un recès célèbre, les multiples transferts de propriété par lesquels l’Eglise germanique perdait 3 millions de sujets et 21 millions de florins de revenus annuels. Puis la députation d’Empire se sépara, et les innombrables morceaux de l’opulent édifice qu’était jadis l’Eglise d’Allemagne firent la gloire et la joie des propriétaires nouveaux. Chacun de son côté, ils fondirent sur leur lot de terre, avec une avidité de parvenus. En commissions et en frais de courtage, en humiliations et en platitudes, cette part, petite ou grande, leur avait tant coûté, que leur droit de propriété s’exerça sans merci : évêques et chanoines, moines et moniales, furent traités comme des coupables auxquels grâce n’était faite d’aucune confiscation.

En Bavière surtout, les excès de la sécularisation furent odieux. Le commissaire du gouvernement, à Bamberg, alla jusqu’à emporter un ostensoir avec des hosties ; les capucins, à Munich, furent chicanés par la police, parce qu’ils voulaient prendre avec eux quelques pots de fleurs et quelques livres ; la cathédrale de Freising, sans l’intervention du futur roi Louis Ier, allait être livrée à un boucher, moyennant 500 florins. L’affranchissement des esprits était en jeu, et les nids de la superstition devaient être détruits : ainsi parlait-on dans l’entourage du ministre Mongelas, et l’on agissait à l’avenant. C’en fut fait des grandes bibliothèques monastiques : le cloître de Saint-Emmeran de Ratisbonne, qui avait été, durant le XVIIIe siècle, l’un des principaux foyers d’études de l’Europe, dut en un clin d’œil se vider de ses moines et de ses livres, et ne fut plus qu’une curiosité archéologique. Nombre d’ouvrages de valeur furent vendus au poids du papier ; des collections qu’avaient amassées les siècles furent dilapidées. C’en fut fait des dix-huit universités catholiques de l’Empire, condamnées à la mort par indigence. C’en fut fait, enfin, de ces fondations qui procuraient aux petits paysans pauvres l’hospitalité frugale d’une abbaye voisine et