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pensée ! — à la pierre, au marbre insensible, au bronze même, touché pourtant par le feu transformateur. C’est le moment, rare et puissant, où la matière accepte la plus grande quantité d’émotion, où la statuaire, ignorante divinement, mais inconsciemment sublime, laisse à la forme humaine tout ce qu’elle pourra supporter d’âme dans la moindre beauté, c’est-à-dire d’art dans le moindre métier. Elle devait retourner à sa matière, à son poids, à son silence. Bien vite le Paganisme originel la reprendra toute, et Rome vaincra de nouveau.

Je comprends bien qu’on le regrette ; je ne puis arriver à comprendre qu’on s’en étonne encore. Le brusque arrêt dans l’essor de la sculpture en France, après l’admirable époque ogivale, qui fut en effet un mouvement profondément national, est un résultat logique et fatal, dû aux conditions mêmes de cet art dont le domaine finit où commence le mystère de l’idée, de la couleur, des sons. Le mouvement dit encore « gothique » (malgré ce que ce nom a d’impropre) et issu d’un merveilleux, mais « incontinuable » mysticisme, devait s’éteindre dans la joie recommencée de la Renaissance, s’absorber dans les revanches du trop beau métier, mourir enfin de culture, de raisonnement, et de facilité. Seule, la Peinture allait et devait hériter de cette victoire, étant seule susceptible d’harmonies composées et d’idées complexes. La sculpture est une réalité absolue, la peinture est déjà une transposition. Le groupe du Taureau Farnèse, qu’on voit à Naples, œuvre de l’ultime décadence grecque, et qui est « arrangé » comme un tableau, et tel ouvrage de peinture moderne, qui est « composé » comme une romance, seront au besoin la preuve, après celles que j’ai essayé de donner, que les arts ne peuvent décidément se substituer l’un à l’autre, et qu’ils n’ont de vertu et de logique beauté qu’en gardant leur rôle particulier.

L’art gothique avait fleuri pendant deux cents ans. Le grec avait eu même durée pour la même adolescence, qui va, comme nous l’avons vu, d’Anthénor de Tralles à Phidias. A Reims ou à Bourges, à Chartres, à Amiens ou à Paris, et bien mieux là que dans tout le reste de l’Occident, où se transplantait l’art moderne chassé d’Orient, les naïfs imagiers, qui allaient, de ville en ville, travailler dans les chantiers des cathédrales nouvelles, avaient recommencé, sans s’en douter, l’antique effort, montant patiemment du rêve à la réalité, de l’exquise ignorance au dangereux savoir. Pourtant la nouveauté fut l’apparition, pour la