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Apollon, l’antinomie fut définitive, et inévitable la rupture entre la sculpture et l’idéal chrétien. Vainement le grand homme usera-t-il sa force et son courage à torturer sous l’effroi biblique des corps de rêve païen, ou à diviniser des Médicis plus spirituels et plus compliqués que des Atrides, ou enfin, dans les années de sa vieillesse exaspérée, à précipiter sans mesure et sans grâce tout l’Olympe dans l’Enfer de Dante, il ne pourra jamais dissiper ni vaincre l’illogisme initial de son immense effort. Michel-Ange est un dieu de la sculpture, mais un dieu tombé. L’idée chrétienne, si tant est qu’elle représente le moderne progrès du monde pensant et agissant, ne fut exprimée complètement en sculpture que par les gothiques ; le Moïse de Michel-Ange, en ce sens, n’est pas un prophète, mais quelque Jupiter égaré. Peut-être ses Sibylles, — peintes, celles-là, et déjà porteuses d’une autre pensée, — sont-elles, dans l’effort vers l’au-delà, vers l’abstraction dessinée en humaines formes, des images vraiment nouvelles, réellement autres, et comme des vierges terribles de l’avenir, que le philosophique avenir sans doute reconnaîtra.

Michel-Ange mourut en 1564, laissant l’âme latine redevenue païenne… sans les dieux ! On avait pu croire, pendant les heures mâles de son grand labeur, qu’il venait de réformer, pour un essor nouveau, l’art tout entier. En réalité, il l’avait, pour l’Italie du moins, tué de sa main trop forte, et à jamais enseveli dans le mensonge des formes sans âme, du métier sans signification nécessaire. Le sens, uniquement compréhensible aux foules, des idées simples échappait définitivement au marbre et à la pierre, et allait passer tout entier au changeant et subtil véhicule des tons et des harmonies, c’est-à-dire aux « images, » c’est-à-dire à la peinture, histoire coloriée des choses. Après Michel-Ange, c’est une décadence rapide de la sculpture, alors que, à voir la profusion de statues qui naissent dans toutes les villes latines, on pourrait croire que jamais la gloire n’en fut plus persistante, ou plus florissant le métier. Métier en effet, de lucre ou d’habitude, qui s’exerce encore dans tous les ateliers et les boutiques de la pauvre grande Italie, par deux fois pourtant éducatrice du monde ! Depuis le jour où la mort joignit dans le silence les mains du sombre Buonarotti, jusqu’à l’heure présente, si ardemment, peut-être si magnifiquement troublée, quelles grandes œuvres de la statuaire ont donné le sens profond du vrai, l’expression nécessaire de leur temps, à l’égal des ouvrages de la