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III


Tel que l’acier qu’on forge au sortir de la flamme
Sous les coups du Destin qui m’arrache à l’amour
Par toutes les douleurs de la chair et de l’âme
Je passe tour à tour.

Le bloc pâle et de pourpre étincelante fume ;
Il résiste, on l’entend retentir et crier,
Martelé, retourné, façonné sur l’enclume
Par son dur ouvrier.

Bientôt, brûlant encor d’une chaleur obscure,
Epée ou soc, plongé dans l’eau froide soudain,
Le métal y reçoit la trempe qui l’azuré
Et resserre son grain.

Moi-même ainsi, frappé par le sort implacable,
Je tire ma valeur des chocs qui m’ont dompté,
Et chaque effort nouveau dont mon bourreau m’accable
Accroît ma volonté.

Grâce à toi, donc, Destin qui semblés me réduire,
Instrument d’un labeur pacifique et sacré
Où, dominant la lutte humaine et fier d’y luire,
Demain je te vaincrai.


IV


Une branche, l’honneur des jardins où je rêve
Dans l’ombre qui descend de sa verte beauté,
Formant des fruits de jour en jour plus pleins de sève,
Sous leur poids filial a langui tout l’été.

Elle qui répandait ses larges rameaux libres,
Naguère encor parmi l’azur vierge et le vent,
La féconde douleur suspendue à ses fibres
Jusqu’à terre a courbé son feuillage mouvant.