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droit de passer tout à fait sous silence la série des peintures assignées par M. Berenson à son Amico, tandis qu’il consacrait tout, un chapitre aux collaborateurs de Sandro. Sans l’invention malencontreuse de ce fantastique Amico, combien le livre de l’historien anglais aurait pu nous offrir une image plus complète et plus instructive de l’évolution artistique de Botticelli !


J’ai dit déjà ce qui me paraît avoir été le caractère principal de cette évolution : un tâtonnement sans fin, l’effort incessant d’un habile ouvrier, mais flâneur, rêvasseur, avec une âme inquiète et toujours mécontente, pour découvrir la voie la meilleure à suivre parmi des voies opposées. Né vers 1445, Botticelli a d’abord été l’élève de Filippo Lippi, pendant que celui-ci travaillait à ses fresques de Prato. Il a appris de son premier maître un réalisme encore pénétré d’un certain sentiment religieux, dépouillant déjà de toute poésie la légende sacrée, mais s’efforçant du moins de lui garder un peu d’intimité familière et de recueillement. Et comme Sandro avait en lui un très vif instinct de grâce féminine, tout de suite il a su l’appliquer heureusement à affiner le style pesant et bourgeois de Fra Filippo. Une Vierge du Musée de Naples nous offre le précieux témoignage de cette manière juvénile : un travail d’écolier, à peine davantage qu’une copie du maître, et pourtant tout imprégnée d’un charme nouveau. Mais en 1468, le vieux Lippi ayant quitté Prato pour Spolète, son élève revient à Florence, et y entre dans l’atelier des frères Pollaiuoli. Ceux-là, sculpteurs plus que peintres, et artisans sans intelligence, ne voient rien au monde que des muscles et des os ; sujets religieux ou profanes, tout ne leur est que prétexte à des anatomies d’un naturalisme grossier. Et voilà Botticelli condamné à les imiter ! Dans une Vierge au Buisson de Roses du Musée des Offices, il tente bien encore d’allier à leur sécheresse un peu de la douceur de son premier maître ; mais il n’y a plus trace de cette douceur dans sa Fortezza, dans son Holopherne, dans un vilain Saint Sébastien du Musée de Berlin. Le jeune peintre s’évertue à mettre dans ses tableaux une fausse vigueur, la plus contraire qui soit à sa nature propre ; et, toute sa vie, désormais, il conservera une trace de la fâcheuse influence exercée sur lui par ce séjour dans l’atelier des Pollaiuoli. Sans compter que, vers le même temps, il subit une influence non moins fâcheuse : celle des beaux esprits de la cour des Médicis qui, sous prétexte d’humanisme, substituent à sa foi naïve d’homme du peuple un mélange confus de scepticisme et de sensualité. C’est alors qu’il peint son Printemps, le