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« naturellement chrétiens. » Les échecs ou les succès politiques sont éphémères de leur nature ; ils peuvent être, les uns et les autres, remis en question. Les succès intellectuels sont plus durables : Léon XIII, en mourant, eût pu se rendre ce témoignage qu’en dépit des attaques, des malentendus et des mécomptes, il avait toujours recommandé aux catholiques de nouvelles habitudes d’esprit, et parfois les leur avait victorieusement inculquées.

Il les avait amenés, lentement, patiemment, à éconduire en pratique la maxime : « Qui n’est pas pour nous est contre nous, » et à s’assimiler cette autre devise : « Qui n’est pas contre nous est pour nous. » Il leur avait sans cesse redit les prérogatives et rappelé le caractère respectable du pouvoir civil, et cela au moment même où les fidèles de l’Eglise, persécutés par les dépositaires de ce pouvoir, risquaient de laisser péricliter en leur esprit la notion de l’autorité de l’Etat. Il leur avait instamment rappelé, sous toutes les latitudes, que « les temps leur commandaient de travailler à la tranquillité publique, et pour cela d’observer les lois, d’avoir la violence en horreur, et de ne pas demander plus que ne le permettent l’équité et la justice. « Il les avait enfin conviés à l’initiative dans tous les domaines de l’action laïque et à « se mettre à la tête, non à la suite des autres. » Ni ombrageux ni boudeur, ni perturbateur ni frondeur, ni révolté ni retardataire : tel doit être le catholique d’après le catéchisme civique de Léon XIII.

On accusa ce catéchisme d’opportunisme : ce n’était, en réalité, qu’une stricte adaptation des principes immuables à la mobilité des circonstances ; et il y avait, à la source de cette politique, une foi si intense dans l’harmonie naturelle des deux sociétés, religieuse et civile, que Léon XIII réussit en quelque mesure à communiquer cette foi : en Allemagne, il atténua les suspicions de l’État contre l’Église et mena Bismarck tout proche de Canossa ; en Russie, il renoua conversation diplomatique avec un chef d’État qui était en même temps un chef d’Église ; en France, si l’on y veut bien regarder de près, il désarma les défiances de la moitié du vieux parti républicain.

De bons interprètes estimèrent qu’en souriant à la République française, Léon XIII avait souri à la rapide et sûre éclosion de l’idée démocratique à travers l’univers ; et le Pape lui-même, en ces années 1893 et 1894 qui furent comme l’apogée de