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s’insinuer, qu’il aime à plaire. Il est de ceux qui ne s’étonnent de rien, et son imperturbable audace lui sert à la cour aussi bien que dans les sociétés les plus vulgaires. « Pour manger dans la main, c’est le premier homme du monde ; » il a ce don de la familiarité qui lui fait « retourner les grands comme des fagots, » et prendre un ministre par le bouton de son justaucorps la première fois qu’il lui est présenté. Lui parti, on lui en veut d’avoir cédé à la séduction grossière ; lui présent, on subit le charme de sa conversation superficielle et variée, de son geste abondant, de son regard pénétrant, de sa voix passionnée. Un attrait se dégage de lui contre lequel seront désarmées les femmes et les foules.

Tel est l’homme que vont achever de nous faire connaître les lettres que Sophie lui adressait, et celles qu’il écrivait à Julie.


II

Le roman de Sophie et de Mirabeau, si on le prend par l’extérieur, par le cadre, par les incidens, est sans doute le plus romanesque qui se puisse imaginer. Décor, costume, accessoires traditionnels y sont au grand complet : il n’y manque aucun des épisodes classiques qui sont comme les lieux communs du genre. Un jeune homme de vingt-cinq ans, précédé d’une réputation de séducteur, et qui expie par la captivité des aventures trop retentissantes ; une jeune femme de vingt et un ans mariée à un vieux mari. Pour déjouer la surveillance des geôliers du comte et de celui de la marquise, les vieux moyens de comédie, qui restent les bons. La fuite à cheval dans la montagne, pendant la nuit, en costume d’homme. La frontière passée. Les deux amans réfugiés à l’étranger, cachés sous un nom d’emprunt, travaillant pour vivre. Le duo d’amour brusquement interrompu par l’intervention de la police. Lui, transféré à Vincennes, dans un cachot, sans jour, en proie à un cruel dénûment. Elle, à Paris, dans la pension de Mlle Douai, avec des folles pour compagnes. Les premières lettres tracées avec une plume trempée dans du café ou dans du jus de citron. La naissance et la mort d’un enfant, la petite Gabrielle-Sophie, que son père ne connaîtra jamais. Puis le roman qui recommence lorsque Mirabeau a recouvré sa liberté, et veut rejoindre Sophie dans le couvent des Saintes-Glaires de Gien, la porte ouverte avec une