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intentions plus politiques qu’antireligieuses, une agression qui a paru sur le moment très vive contre les congrégations. Si le Pape avait déjà des tendances conciliantes, il était mis à une épreuve délicate. Soit dignité, soit prudence, il dut renvoyer à plus tard l’exécution de ses projets. Mais on ne tarda pas à reconnaître à certains symptômes qu’il était quand même partisan de l’apaisement, et qu’à ses yeux le meilleur moyen de l’atteindre était de soustraire les catholiques, et surtout le clergé, au funeste entraînement des intérêts et des passions de parti. Peu à peu sa pensée s’est dégagée des nuages, et a fini par prendre dans des Encycliques retentissantes la forme la plus fermement arrêtée. Que disait-il ? Parlant comme chef de l’Église, il disait qu’elle était indifférente aux formes politiques, qu’elle acceptait tous les gouvernemens, que les peuples avaient le droit de choisir celui qu’ils voulaient, et que dès lors il conseillait aux fidèles d’accepter loyalement celui que leur pays avait préféré. L’impression produite par ces Encycliques, qui étaient des actes, a été profonde. Le parti monarchique s’est senti atteint dans ses œuvres vives : les forces dont il disposait encore ont été du coup considérablement diminuées. Quant au parti et au gouvernement républicains, qui paraissent aujourd’hui dédaigner si fièrement le concours de l’Église, ils ont été heureux de la bonne fortune inespérée qui leur tombait du ciel, et ils ont éprouvé au premier moment pour Léon XIII un sentiment qui ressemblait à de la reconnaissance.

Il va sans dire que le Pape, tout en conseillant le ralliement à la République, sans conditions et sans réticences, n’entendait approuver ni tout ce qu’elle avait fait, ni tout ce qu’elle ferait : il distinguait contre la forme d’un gouvernement et ses actes, l’adhésion à la première n’entraînant pas comme conséquence nécessaire l’adhésion aux seconds. Loin de là, Léon XIII laissait entendre, ou plutôt il disait formellement qu’il y avait des lois détestables parmi celles que le gouvernement avait promulguées depuis quelques années. Il fallait les combattre sans nul doute, mais sur le terrain républicain. En somme, le Saint-Père traçait le programme d’une large opposition constitutionnelle, convaincu qu’il était de l’impuissance radicale d’une opposition révolutionnaire, surtout lorsqu’elle se proposait pour but avoué la restauration des régimes déchus.

Tout, dans son langage, nous a paru alors prudent et sage. Ce que désirait Léon XIII, nous le désirions aussi : c’était la constitution dans la République d’un grand parti libéral, composé d’élémens qui ne pourraient plus être suspects d’intentions anticonstitutionnelles.